Le livre d’Hubert Holy est à l’image de son auteur : riche et percutant derrière une façade classique et sobre. L’artisan du turnaround de BestBuy (le Darty américain) sur 2012-2020 prend le temps de partager les enseignements de son dernier succès, mais aussi de ses échecs et plus largement de ses expériences précédentes de PDG, de manager et de consultant. Il en tire un message pour le monde : libérez la magie humaine plutôt que de chercher le profit à tout prix ! De loin, cela peut paraître naïf et convenu ; pourquoi prendre le temps de lire à ce sujet ?

Est-ce la synthèse que l’auteur en fait ? J’ai eu le plaisir de voir l’auteur présenter sa pensée en conférence. Il l’a résumée en anglais autour de cinq B : “Be purposeful, Be curious about the purpose of people around you, Be clear about your role as a leader, Be clear about who you serve, and Be values driven.” En français : mission, objectifs d’autrui, rôle, clients et valeurs. Rien de nouveau en apparence ; que du très classique.

Est-ce le sommaire du livre ? Il est tout aussi classique à première vue : le sens du travail, l’objectif d’une organisation humaine, les moyens de libérer les énergies par la vision partagée, l’autonomie et la formation et quelques réflexions sur le rôle du leader. C’est sobre et presque sans joie.

Serait-ce la force et l’importance du message principal ? Hubert critique de la vision miltonienne de l’entreprise (i.e. une société a pour objectif de faire du profit) pour se faire l’avocat d’une vision plus humaine (i.e. une société est d’abord un groupe de personnes qui réalise des activités et il se trouve que ces activités génèrent du profit). Dit comme cela, c’est politiquement correct et dans l’air du temps.

Alors, qu’est-ce qui fait du livre d’Hubert Joly un must read ? Pourquoi est-il riche et percutant ? Pourquoi ai-je mis tant de temps à le lire ? Pourquoi la synthèse qui suit est-elle si longue ? C’est probablement dû au nombre d’histoires et à la densité de concepts sur seulement 200 pages écrit gros.

On y trouve en fait au moins cinq propos : l’art d’être un bon PDG, l’histoire personnelle de l’éveil d’un PDG à la magie de l’humain, une méthodologie pour libérer cette magie de l’humain, un compte-rendu du turnaround de BestBuy sur 2012-2020 et un appel sociétal à faire évoluer notre pensée collective sur le rôle des entreprises. Evidemment, les cinq histoires sont intimement liées et se renforcent mutuellement.

Et on y lit des dizaines de bonnes punchlines, d’innombrables recommandations et des références à un grand nombre d’ouvrages de qualité. Tout cela au sein d’un livre finalement plutôt court.

Si le détail vous intéresse, le mieux est de lire le livre. Pour un aperçu, voici ce que je choisis d’en retenir. Prêt(e) à entrer au cœur de chaque histoire ?


Cet ouvrage fait partie d’un recueil de synthèses (la bibliothèque), d’une sélection d’ouvrages que tout le monde ou presque devrait avoir lu (le label Curatus) et d’une liste de livres au message brillant, mais simple (les 3-line punchers). Prenez le temps de parcourir ces listes. Certains titres pourraient vous intriguer !


1.   L’art d’être un bon PDG

Un bon PDG engage beaucoup de décisions vite, qu’il les prenne lui-même ou non. Cette vitesse est importante car elle crée un momentum et un rythme qui permettent de voir plus et de faire plus. Au fond, il s’agit de maximiser le nombre d’opportunités d’avoir de la chance. Qui ne tente rien n’a rien !

Pour cela, le PDG doit à la fois célébrer ce qui va bien, pour créer un moral positif, et identifier et reconnaître ce qui ne va pas, pour rester réaliste et tendre toujours au progrès. Cet optimisme et ce pessimisme sont nécessaires et se complètent : ils doivent s’équilibrer. Et un bon PDG transforme les obstacles en opportunités.

Ce bon PDG fait travailler efficacement l’équipe autour de lui : ils sont bien plus nombreux et collectivement bien plus importants que lui. Il crée une équipe efficace plutôt qu’une collection d’individus efficaces. Et cela demande de l’effort. Hubert partage consacrer une journée par trimestre au teambuilding.

Et il s’entoure utilement pour diversifier les points de vue, limiter les biais de décision et permettre à l’organisation de donner le meilleur de soi-même. C’est pour ces trois raisons qu’Hubert Joly pense utile de respecter les plus hautes exigences de diversité au niveau de l’équipe dirigeante et du conseil d’administration.

Cette diversité, sous toutes nombreuses formes que l’on peut nommer, apportera plus d’idées, limitera qu’une pensée collective uniforme prenne dangereusement le dessus, et, peut-être plus important encore, permettra à tous les collaborateurs de l’organisation de se reconnaître dans des membres de la direction. Et donc de s’investir.

L’auteur note que beaucoup d’organisations calquent l’image du bon PDG sur celui du superhéros. Il est censé prendre toutes les décisions importantes et tout repose sur ses épaules. Même s’il dénigre ce modèle, Hubert Joly note qu’il a ses avantages : dans les situations de crise, il peut être utile de vivre un temps sur ce modèle. Lui-même l’a fait.

Il défend cependant que c’est un modèle pernicieux et sous-optimal. Mieux vaut pour le PDG se limiter à quelques rôles clés. Dans son cas, il s’agissait la stratégie d’ensemble, des décisions majeures d’investissement comme le M&A, de définir le ton autour des valeurs de la société et de la composition de l’équipe de direction.

Quatre éléments seulement ! Cela peut sembler limité. Mais gardons en tête que BestBuy représente plus de 40 milliards d’euros de chiffre d’affaires et plus de 120 000 employés répartis sur un continent. Il s’agit donc du rôle d’un responsable d’entreprise du SB250 plus que de celui du fondateur d’une startup.

Et ces quatre responsabilités sont ce qui est resté après le turnaround après que BestBuy est devenu profitable et en croissance. Ce sont les quatre rôles du PDG lorsque tout fonctionne et que son équipe est de qualité. Au début de son mandat, Hubert avait endossé bien plus le rôle de CEO superhéros qu’il décrie par la suite.

Pour clarifier les responsabilités, Hubert Joly tient le modèle RASCI (Responsible, Acountable, Supporting, Consulted, Informed) en haute estime. Je le note avec d’autant plus d’intérêt que j’ai jusqu’ici toujours eu l’impression qu’il compliquait inutilement les choses. Il est possible que la taille de l’entreprise BestBuy rende cette clarté extrême des rôles nécessaires.

Finalement, être un bon PDG est d’une rare facilité ! Il suffit de faire tout cela. Evidemment, même si Hubert ne s’étend pas sur le sujet, il faut faire tout cela en dormant la nuit, en restant en bonne santé et en gardant une vie familiale et privée. Il raconte d’ailleurs être intervenu dans la presse pour affirmer « Je ne suis pas le PDG de BestBuy. » Son message ? Bien sûr, il était heureux de jouer le rôle, mais sa carte de visite ne le définit pas comme individu.

Alors, comment faire tout cela sans y perdre sa vie ? Un coach peut aider un PDG à réaliser ce difficile exercice d’équilibrisme. Les meilleurs athlètes se font coacher. Pourquoi pas un CEO ? Ce coach peut d’ailleurs aider à réfléchir aux trois questions que l’auteur pense un PDG (mais pas seulement) devrait se poser : qu’est-ce qui vous motive ? Quel héritage voulez-vous laisser ? Et comment éviter de se griller (i.e. finir imbus de soi-même, en burnout, en prison… il y a de nombreuses variantes) ?

Le coach pourra aussi éviter au PDG un ensemble d’erreurs classiques : chercher à être la personne le plus brillante de la pièce, vouloir donner les réponses, ne pas admettre qu’il ne sait pas, être difficile à approcher, s’ingérer sur les sujets où sa présence n’est pas nécessaire, penser que l’argent motive ses collaborateurs… Ce sont en tous cas certains des défauts qu’Hubert se reconnaît ou plutôt se reconnaissait.

Mais comment a-t-il changé ?

2.   L’éveil d’un PDG à la magie de l’humain

Hubert Joly fait la part belle aux courants de pensée qui nous suggèrent de trouver un sens à notre travail. Pour s’écarter un instant du contenu de The Heart of Business et reprendre une idée de Philippe Gabilliet, il suggère de dépasser labor (labeur) et même ars (art) pour nous intéresser à opus (œuvre).

Cette idée correspond bien à l’exemple des trois maçons constructeurs de cathédrale que reprend l’auteur. Le premier trouve le travail difficile : son labeur est de tailler des pierres. Le second trouve le travail intéressant : il exerce l’art de tailler des pierres. Le troisième vit son travail avec passion : il œuvre à créer une cathédrale.

Hubert nous suggère de nous intéresser aux concepts d’Ikigai, de North star et de définir nos principes personnels. Lui-même le fait régulièrement et a pris le temps de suivre le séminaire de Saint-Ignace de Loyola, dont le contenu ne semble pas très éloigné sur le fond d’un séminaire de Tony Robbins. Chacun sa méthode !

L’auteur en parle d’autant plus librement qu’il a dit avoir lui-même erré. Il semble évoquer une partie de sa carrière au sein de Vivendi comme une erreur de jugement.

Parmi ses conseils, j’aime en particulier le concept de feedforward plutôt que de feedback : il s’agit d’aider son entourage à sélectionner ses prochains axes de développement plutôt que de lui tendre un miroir qui lui rappelle ce qu’il fait mal ; bien souvent, il le sait déjà ! Le feedforward aide à choisir ce sur quoi nous voulons être encore meilleur.

Au fond, il s’agit de souhaiter être la meilleure version de soi-même plutôt que de chercher à être systématiquement le meilleur. Pour cela, Hubert nous encourage à nous poser des questions de fond quant à qui nous sommes et ce qui nous motive. Les questions qu’il pose et les voies qu’il suggèrent sont intéressantes, mais classiques. Vous les trouverez dans le livre. Je reprends ici trois erreurs à éviter qu’il évoque. Elles m’ont interpelé comme originales et nouvelles ; au moins pour moi.

Trois erreurs donc : d’abord, penser que son objectif principal va apparaître soudainement un jour comme une révélation. Le plus souvent, il s’agit d’un long process de maturation qui demande travail et recherche. Ensuite, penser que son objectif de vie doit nécessairement être noble. Si cela était vrai, nous travaillerions tous dans l’éducation, l’humanitaire, la médecine, etc. Troisième erreur, vouloir absolument qu’il soit large et ait une portée planétaire : nous ne pouvons pas tous sauver le monde. Un objectif simple et proche de soi est très noble et très acceptable.

Aparté personnel :

La question qui me taraude le plus en lisant le témoignage d’Hubert Joly est : peut-on sauter les étapes ? L’auteur se donne le rôle d’un PDG rationnel repenti qui a tout d’un coup découvert le chemin de la joie du vivre ensemble et de la magie de l’humain qu’il prêche à présent. Mais serait-il là aujourd’hui à en parler s’il avait prêché l’humain dès le début ?

Où sont ceux qui à vingt ans s’intéressaient uniquement aux personnes et n’avaient aucun sens des considérations financières ? Sont-ils devenus PDG ? Qui sont ceux qui sont devenus PDG par l’humain et qui ont découvert après quarante ans l’autre partie de l’équation : la dure réalité de l’obligation d’être rentable ?

J’avais eu la même réaction en 2011 en écoutant le chef d’orchestre Ben Zander, qu’Hubert Joly cite, servir un discours similaire quant à l’erreur de chercher la perfection. Il m’avait alors semblé qu’il y avait une forme de biais de sélection.

Ou faut-il garder en tête que « charité bien ordonnée commence par soi-même » ; c’est-à-dire que même s’il y a une infinité de chemins, il n’est ni absurde ni anormal de commencer par atteindre l’excellence avant de s’intéresser à libérer les énergies autour de soi ?

Quoi qu’on pense de l’affirmation précédente, force est de constater que c’est le chemin qu’ont suivi les chantres les plus vocaux du nouveau management : ils le prêchent depuis qu’ils sont arrivés aux manettes… Mais ce n’est pas comme cela qu’ils y sont arrivés. En tout cas, pas uniquement comme cela !

C’est un sujet de débat intéressant… à suivre !

3. Comment créer la magie humaine

Hubert Joly nous propose un guide pratique de libération de la magie humaine : d’abord, demandez à votre entourage ce qui les fait vibrer. Ecoutez et prenez le temps de leur demander quelles ont été les expériences fondatrices qui ont marqué leur trajectoire de vie jusqu’à aujourd’hui. Faites-les parler de leurs passions. Et faites leur parler de leurs rêves et objectifs. Vous apprendrez énormément à leur sujet !

Ensuite, organisez la réflexion de vos collaborateurs autour de l’articulation entre l’objectif noble de l’organisation et leur histoire personnelle. Pour créer cette magie humaine, il faut que chacun fasse le lien entre lui en tant qu’individu et le but que la société poursuit. C’est ce qui crée l’attachement.

Et vous, quel est votre niveau d’attachement ? Un bon test : avez-vous des amis au travail ? L’auteur était d’abord dubitatif. Ne doit-on pas séparer vie personnelle et professionnelle ? Pour autant, si vous n’avez pas d’amis au travail, pouvez-vous vraiment affirmer que vous êtes au meilleur endroit pour vous ? Nous y passons tant de temps par jour, n’est-ce pas dommage de le partager avec des personnes que nous n’aimons pas vraiment ?

Cela ne signifie pas qu’il faille avoir des amis seulement au travail ou laisser son monde professionnel empiéter sur sa vie privée. Tout ceci est évidemment un équilibre. Mais l’auteur pose la question : avez-vous des amis proches au bureau ? Et si la réponse est non, pourquoi ?

Pour transposer cette approche au travers de toute la société, Hubert propose d’appliquer cette méthode à l’échelle. D’abord articuler explicitement une philosophie d’entreprise tournée vers l’humain : people first! Il conseille ensuite d’explorer ce qui fait vibrer les personnes autour de vous : le savez-vous vraiment ? Après, il suggère de ne pas manquer les occasions de faire la différence : ce sont les moments décisifs dont on se rappellera. Les crises sont un bon exemple, mais pas le seul. Après, vient l’impératif de partager des histoires et de montrer l’exemple. Sans propagande excessive, l’entreprise peut décider de créer une mythologie interne fondée sur des événements qui renforcent cette magie humaine ; et c’est évidemment mieux si nous montrons collectivement un comportement en ligne avec ces histoires !

Enfin, Hubert propose d’articuler l’objectif de la société d’une manière qui donne envie, est authentique et reste proche de chacun de nous. Pour l’auteur, cette étape vient après les autres. Pourquoi ne pas commencer par elle ? C’est qu’une culture d’entreprise et un objectif noble ne se décident pas. Ils émergent. Ils peuvent peut-être se définir en chambre pour des sociétés nouvellement créées qui dépendent largement de leur équipe fondatrice. Mais pour les grandes organisations qui ont dépassé ce stade, la culture préexiste. On peut l’influencer et la diriger à la marge, mais il convient surtout de la faire émerger.

Est-ce terminé ? Pas tout à fait ! Ensuite, Hubert propose de diffuser cet objectif noble en interne comme en externe. En interne pour redonner du sens aux règles et aux procédures. Celles-ci sont utiles, mais elles doivent toujours être suivies en gardant en tête l’esprit de la règle. Et pourquoi pas en externe ? Si vous avez un message pour le monde, répandez-le !

Puisque la magie humaine est en place, il est temps de s’en servir. Pour cela, Hubert Joly suggère de repousser les points de décisions aussi bas que possible dans l’organisation ; ou plutôt : aussi proche que possible des clients. Et il nous enjoint de préférer les process de décisions participatifs. Bien sûr, cela nécessite d’avoir mis en place des éléments de méthode agile dans le management et il faut adapter ce concept aux compétences et aux volontés individuelles. Ce n’est pas une anarchie ! Mais l’auteur remarque que dans notre monde moderne et une très grande structure, le management par la décision centrale répercutée à l’identique partout est dans l’ensemble largement dépassé. Ou en tout cas, il y a un équilibre à créer !

Et cette idée d’équilibre est importante. L’auteur est un homme d’action efficace plus qu’un doux rêveur. Cette magie humaine suppose des équipes qui sont à la fois compétentes et motivées. C’est-à-dire qu’elles sont en haut à droite de la matrice skill-will (renseignez-vous si cela ne vous dit rien, c’est un concept de management très simple, mais très efficace).

S’il manque la compétence, il faudra la bâtir. S’il manque la motivation, il faudra l’insuffler ou changer la composition des équipes. Pour évoluer sur la matrice skill-will, Hubert propose un impératif : chercher à être la meilleure version de soi-même et donc apporter le meilleur de sa motivation et de ses compétences.

Pour cela, il évoque quelques concepts qui vont à l’encontre de certains réflexes : prêter attention aux efforts plus qu’aux résultats, développer les individus plus que la masse, faire du coaching plus que de la formation, évaluer la performance et le développement avec rigueur et méthode, considérer qu’apprendre est l’œuvre d’une vie et créer les conditions pour accepter les échecs. Pour plus d’informations à ces sujets, lisez le livre ! Le chapitre est éclairant.

Finalement, afin de maintenir cette magie humaine dans le temps, l’auteur raconte avoir organisé une journée annuelle destinée à la discussion autour des valeurs. Il a très probablement importé cela de son long passage chez McKinsey où c’est un moment important de l’année. Pensez-y ! Si McKinsey et BestBuy le font… ce n’est peut-être pas idiot !

4. Le cas du turnaround de BestBuy

Le livre est aussi au sujet de BestBuy. Cette partie m’intéresse moins car elle est plus anecdotique et plus spécifique à l’histoire de BestBuy. Lisez le livre pour une information plus riche. Je reprends quelques éléments liés notamment à la partie la moins glamour du turnaround. Hubert Joly le fait parfois passer pour un exercice facile. Pourtant, il ne cache pas plusieurs aspects durs de cet exercice exigeant.

Hubert raconte avoir d’abord pris beaucoup de décisions rapidement. Il semble que BestBuy s’était embarqué vers ce que Jeff Bezos aurait probablement qualifié de « Day 2 ». Hubert a vendu les activités en dehors des Etats-Unis, remplacé une part non négligeable du top management et arrêté le télétravail. On n’a rien sans rien…

Pour autant, le CEO dit avoir tout fait pour éviter d’avoir à licencier. Il invite à résister aux sirènes du court terme qui suggèrent de réduire rapidement les frais de personnels et supprimer les magasins non rentables. Cette approche fonctionne à court terme mais elle atrophie le muscle et tue cette magie humaine évoquée.

Pour libérer cette magie humaine, il suggère de donner beaucoup de pouvoir aux personnes qui sont le plus proches des clients. Souvent, elles savent très bien ce qu’il faudrait faire. Et de s’assurer que ces gardiens du front ont les idées très claires quant à l’objectif de la société et à ce qu’ils apportent. Comment convaincre les clients si les employés eux-mêmes ont des doutes ?

Hubert raconte aussi avoir cherché avec zèle des solutions plutôt que des excuses. BestBuy avait toutes les excuses du monde pour aller mal. Pourtant, il y avait aussi de nombreuses opportunités. Passer du showrooming au showcasing, améliorer la vente en ligne, fournir un service de conseil de plus grande qualité aux clients, développer des services à domicile… Lisez le livre pour un aperçu plus complet des pistes suivies.

En effet le livre regorge de petits détails. Hubert a réalisé des actions symboliques, comme voyager en classe économique et le faire savoir. Il a fait mener des plans d’amélioration marginale, par exemple sur les produits cassés lors des livraisons. Il a rappelé à tous d’agir selon leur bon sens plutôt que selon les procédures. Et à certains moments… Il a tout de même dû licencier. Un turnaround, même réussi, ne se fait pas sans mal.

Mais malgré ce mal, il faut maintenir la magie humaine en créant une historie commune et un vivre ensemble. Hubert insiste sur l’importance de donner un nom au plan, de le faire vivre et de le scénariser : le PDG se doit de libérer toutes les énergies pour sauver la maison. Et un des rôles du PDG est de prendre des décisions pour libérer ces énergies. Ces décisions doivent être prises rapidement, mais avec des principes.

Par exemple, il raconte avoir utilisé un filtre en quatre questions pour juger des nouvelles activités à lancer : est-elle en ligne avec l’objectif noble ? Est-elle bénéfique pour les clients ? Sommes-nous capables de rendre le service ? Pouvons-nous être profitable ? Ces quatre questions semblent très simples. Elles le sont en effet ; elles forment aussi un tamis efficace.

5.   Un appel sociétal : l’humain avant le profit

Le livre est en ligne avec une voix montante du management moderne : un management par le sens et par l’humain. Son principal message : people -> business -> profits. Les compagnies sont avant tout un groupe de personnes qui font quelque chose ensemble, et il se trouve que ce quelque chose génère de l’argent.

Hubert Joly fait la part belle aux courants de pensée qui nous suggèrent de trouver un sens à notre travail. Son livre est un témoignage de première main des recommandations de Jim Collins dans From Good to Great. Il ne mentionne pas Start with Why de Simon Sinek, mais l’esprit y est. En revanche, il finit par mentionner Benjamin Zander et sa manie de donner un A à tout le monde en échange d’une lettre écrite. C’est aussi très cohérent avec Beyond Performance de McKinsey.

Hubert rappelle que l’immense partie de ce qui fait la valeur d’une organisation ne se retrouve pas dans les états financiers et dans le rapport annuel. C’est cet intangible non compté qui a de la valeur, bien plus qu’une balance comptable. A l’heure de prendre sa retraite, de quoi se souviendra-t-on ?

Et suivre de trop près les indicateurs financiers peut conduire à une politique court-termisme qui mène la société à la ruine. Comment reprendre de la hauteur face à la tyrannie du temps court ? En gardant en tête un principe simple cher au cœur de l’auteur : « People => Business => Finance ».

Une société est un groupe de personnes qui réalisent une activité. Et il se trouve que celle-ci est profitable. C’est donc bien sur l’objectif, au sens noble, de la société qu’il faut d’abord s’intéresser. Et ensuite aux femmes et aux hommes qui la composent et poursuivent ce noble but commun.

Hubert Joly pose ainsi ce credo : un business est fondamentalement un objectif, des personnes et des relations humaines. La profitabilité est une conséquence nécessaire.

D’ailleurs, il rappelle que l’argent est un mauvais facteur de motivation même à titre individuel. Bien sûr il peut permettre d’attirer des talents et quelqu’un qui pense sa rémunération inéquitable finira par partir. Et bien sûr, sur une courte période et pour certaines tâches, il peut être apprécié et appréciable.

Pour autant, l’auteur défend que les incentives financiers ont de très nombreux effets pervers, notamment dans les métiers intellectuels. Ils envoient les mauvais signaux, créent des blocages mentaux et sont très difficiles à aligner correctement avec l’intérêt des parties prenantes. Au fond, c’est le message qu’envoie le système d’incentives qui est le plus important : quelle histoire raconte-t-il ? Les incentives n’ont pas pour objectif de motiver, mais de communiquer et de partager les bénéfices des résultats.

Ce qui motive, c’est le but commun et le vivre ensemble. C’est pour cela que la majorité d’entre nous nous levons le matin. Cela conduit l’auteur à proposer une « déclaration d’interdépendance » qui rassemble l’objectif noble, des employés engagés, des clients heureux, des communautés épanouies, des partenaires à nos côtés et des actionnaires rémunérés par des profits qui sont une conséquence des éléments précédents.

Pour réussir cela, il insiste sur l’importance de définir avec soin son objectif noble. Il s’agit d’une phrase qui résume ce que la société apporte au monde. Tout comme définir ses principes en tant qu’individu, trouver cette phrase est très difficile.

Pour BestBuy, il s’agit de to enrich our customers’ lives through technology. C’est peu impressionnant vu de loin, mais c’est peut-être ce qui les a sauvés.

Et vous, quel est l’objectif noble de votre société ? Quel est votre objectif noble en tant qu’individu ? Comment faites-vous le lien entre les deux ?

6.   Une collection de bons mots

« Work is a fundamental element of what makes us human. »

« Fulfillment comes from doing good things for others. »

« Strive to be our best rather than the best »

« Business is fundamentally about purpose, people, and human relationship – not profit, at least not primarily. »

« The problem is not shareholders, but considering shareholders as a faceless, heartless monolith that has to be favored at the expense of all other stakeholders. »

« Bad news has to travel at least as fast as good news. »

« Being vulnerable isn’t the same as sharing everything about one’s personal life, however: the point is to share something authentic, relevant, and helpful to others. »

« The best teams are A teams, not collections of A players. »

« A company fighting with its founder seemed crazy to me. »

« It’s like a family; it feels like home. ».

« Delegation and autonomy lead to human magic only when people are both skilled and motivated. »

« If you see something, say something and do something. »

« What separate great leaders from good leaders is not the quality but the quantity of decisions. More decisions create more momentum and energy. »

« No either/or here. »

« Being positive and acknowledging challenges are both necessary, and neither can dominate. »

« Financial incentives have a role to play, as long as they are not expected to motivate people. »

« The new incentive system serves as an effective loudspeaker. [ …] We changed the bonus system to send a clear signal. »

« The ultimate goal of a company just may be the growth and fulfillment of everyone working here. »

« Performance management should be more about development than ranking. »

« The truth is I love challenges: they give me energy. Part of it is the satisfaction and adrenaline that comes from building and mobilizing a team around a common goal and solving a puzzle. »

« Tell me about your soul. »

« Be aware, and beware of what drives you. »

« Your mission is to make sure I am never on the cover of any magazine. »

« A key to success is not being visible. »

« Choosing why and how to exercise power, and whom to give it to, are the most crucial choices leaders have to make. »

« Remember to be a thermostat, rather than a thermometer. Set the temperature. »

« If your actions inspire others to dream more, learn more, do more, and become more, you are a leader. »

« Tell the truth and do what’s right. » 

7.   De nombreuses références

Enfin, il y a de saines lectures suggérées tout au long du livre. Pour la liste des ouvrages qui paraissent à Hubert Joly suffisamment bons pour les citer. J’aurais pu les lister ici. Mais cela aurait gâcher une partie du plaisir de… lire le livre !

Alors, si vous lisez l’anglais, achetez-le. Si vous préférez le français, il arrive très prochainement. Je crois qu’il sera chez Plon.

Bonne lecture !


Cet ouvrage fait partie d’un recueil de synthèses (la bibliothèque), d’une sélection d’ouvrages que tout le monde ou presque devrait avoir lu (le label Curatus) et d’une liste de livres au message brillant, mais simple (les 3-line punchers). Prenez le temps de parcourir ces listes. Certains titres pourraient vous intriguer !


Que pourriez-vous trouver d’autres aux presses de Harvard ?