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Cherche : perle rare

Les bons livres professionnels sont rares et peu connus

D’abord, ils sont rares. La plupart des ouvrages professionnels cumulent un ou plusieurs des adjectifs suivants : décevants sur le fond, difficiles à lire, verbeux, datés, scolaires, mal présenté et peu engageant à lire. Les ouvrages pertinents, faciles d’accès, courts, atemporels, applicables, beaux et pétillants sont rares.

Et les bons ouvrages sont noyés dans la masse des autres livres. Leurs titres, leurs couvertures, leurs prix et leurs éditeurs sont identiques à ceux des autres. Rien ne les différencie de la grande majorité de ce qui s’écrit.

En plus, au contraire d’autres catégories artistiques comme le cinéma, le théâtre, la littérature ou la bande dessinée, le bouche à oreille fonctionne peu et on trouve peu d’experts pertinents. Qui sont les grands critiques des livres professionnels ? Où sont les magazines où l’on trouve souvent des revues acerbes et parfois seulement des entretiens élogieux ? Quand était la dernière fois que vous avez recommandé la lecture d’un livre business à un ami ?

C’est que la catégorie est en partie sulfureuse ! Elle fait partie du monde du travail. Et il est de bon ton de s’en éloigner pendant ses loisirs. Lire ce type d’ouvrage pourrait laisser à penser que l’on maîtrise mal son métier. Est-ce un aveu de faiblesse ?

Enfin, peu d’entre nous aimons retourner à l’école ou admettre que nous maîtrisons moins notre domaine professionnel que nous ne l’aimerions.

Résultat : les succès d’édition de ces catégories cumulent quelques dizaines de milliers de ventes tout au plus, et encore seulement après une dizaine d’années et autant d’éditions. C’est le cas d’excellents ouvrages comme Le grand livre de la vente ou Trouver le bon job grâce au réseau qui se vantent sur leur couverture d’avoir atteint 45 000 exemplaires à la neuvième édition.

Où sont les ventes à des millions d’exemplaires que l’on trouve chez les titres anglophones ?

Les références de confiance sont rares

Les lecteurs professionnels ont peu de marques de référence auxquelles faire confiance. Les ouvrages de qualité sont répartis au sein de nombreux éditeurs différents et rares sont les auteurs qui en ont réalisé plus d’un.

Parmi les 150+ de livres business reconnus par le guide des ouvrages professionnels , l’éditeur le plus représenté totalise à peine douze titres. Et c’est principalement car cet éditeur anglo-saxon a tendance à concentrer les traductions en français des grands succès américains. Si j’analyse les maisons d’édition de l’œuvre originale, aucune ne dépasse cinq titres.

Il n’y a donc pas d’éditeur de référence qui garantisse aux lecteurs un contenu exceptionnel. Il y a également peu d’auteurs qui écrivent plusieurs succès de suite. Et c’est bien naturel : un auteur a en général un sujet de prédilection. S’il reste sur son sujet, ses livres se ressemblent ; s’il sort de son sujet, ils perdent en pertinence.

Pour le lecteur, acheter un livre professionnel est donc un coup de dés. Ni l’éditeur ni l’auteur ne sont gages de qualité. Les critiques sont rares et peu indépendantes. Quant aux couvertures et aux titres, elles joueraient presque contre leur camp : on a parfois l’impression que les pépites cherchent à se cacher.

Les libraires mettent rarement les livres professionnels en avant

Un ami libraire à Boulogne-Billancourt et formateur pour les nouveaux libraires m’a rappelé une évidence : aucun d’entre eux ne fait cela pour vendre des livres professionnels. On trouve parmi ceux qui suivent les formations professionnelles des amoureux des polars, des belles lettres, des livres de cuisine… mais il n’a encore jamais vu un aspirant libraire admettre une vocation pour les ouvrages professionnels.

D’ailleurs, on voit des libraires indépendants mettre sur les livres des cartons qui résument leurs impressions à la lecture. Ils offrent à leurs clients un avis sur le livre et donnent envie de l’acheter. Je ne l’ai jamais vu pour les livres professionnels. En fait, beaucoup de libraires n’ont tout simplement pas de livres professionnels. Les mots et les choses, une libraire à Boulogne-Billancourt de taille plus que respectable n’en a pas. « Il y a peu de demande et ceux qui en veulent sont prêts à les commander », confie son propriétaire.

En général, les libraires n’ont donc pas ces livres dans les rayons. Et quand bien même elles les auraient, les libraires ne sauraient pas comment les mettre en avant. C’est dommage.

Et si nous pouvions faire différemment en fournissant et des bons ouvrages qui parlent à un public large et quelques indices sur ce qu’un libraire pourrait en dire ?

La plupart des auteurs écrivent pour faire leur publicité, ce qui nuit à la qualité

Ecrire un livre est rarement une activité rémunératrice. C’est largement connu et malheureusement accepté par les auteurs. 1 500 ventes est un succès dans le monde de l’édition professionnelle francophone, 20 euros un prix habituel et 8% ce que touche la plupart des auteurs. Faites le calcul : 2400 euros.

Ecrire un livre prend généralement 200 heures, cela fait 12 euros de l’heure avant impôts. C’est faible ; et cela suppose que vous le livre n’est pas un flop. Les livres politiques font souvent à peine 500 ventes. Bref, presque aucun auteur ne compte sur ses revenus d’édition pour vivre. Alors, pourquoi écrivent-ils ?

Certains sont des consultants qui se positionnent sur leur secteur, d’autres des conférenciers qui font leur publicité, d’autres des universitaires qui recherchent la respectabilité. Certains le font pour pouvoir en parler, d’autres souhaitent ajouter la ligne auteur sur leur CV, d’autres encore le font par passion. Très peu le font pour l’argent.

C’est dommageable pour les lecteurs. D’une part parce « Quand c’est gratuit, c’est que vous êtes le produit ». Et d’autre part parce que cette logique non commerciale pousse mécaniquement à un certain manque d’exigence sur le produit fini. Si un livre professionnel valait 1 000 euros pièce, les lecteurs seraient bien plus regardants ; et, par ricochet, les auteurs et éditeurs aussi.

Les ouvrages professionnels sont souvent longs

« Temps habituel de lecture : 4 heures » affiche ma liseuse électronique alors que j’ouvre How Women Rise de Sally Hegelsen et Marshall Goldsmith, un livre que j’ai acheté pour en suggérer la lecture à ma femme. C’est le temps de deux bons films au cinéma ou encore six à huit épisodes de série. Mais c’est aussi un cent-millième de notre espérance de vie éveillée (si si… faites le calcul).

Cette lecture vaut-elle vraiment 4 heures ? Peut-être. Tous les livres business valent-ils 4 heures ? Start With Why de Simon Sinek, à mon avis, non. Autant la vidéo TED en 5 minutes est brillante, autant le livre en 300 pages me semble être de trop.

Ce qui peut justifier plusieurs heures de lecture est une lecture agréable ou divertissante (par exemple Lève-toi et vends de Nicolas Caron), l’envie de prendre le temps pour se laisser convaincre ou encore l’envie de rentrer dans les détails des éventuelles recherches académiques qui sous-tendent la thèse.

Cependant, très souvent, la longueur de l’ouvrage est imposée au lecteur : celui-ci cherche la synthèse et des pistes d’actions efficaces alors qu’on lui sert un quasi-roman qui distille l’information à la manière d’un jeu de piste. C’est par exemple le cas de On Writing Well de William Zinsser, un classique sur l’art de rédiger. Je cherchais une série de règles d’écriture à appliquer et je tombe sur des considérations verbeuses à la limite de la polémique sur l’art d’utiliser un mot plutôt qu’un autre.

Bref, beaucoup de livres professionnels sont inutilement longs, peut-être pour justifier leur prix de vente, et peu sont adaptés au besoin réel du lecteur : se laisser convaincre ? Comprendre ? Ou juste avoir accès rapidement à une méthodologie efficace ?

Les ouvrages professionnels sont souvent décevants

Je tiens dans les mains un livre de 2020 publié par un des grands noms de l’édition française. En apparence, l’ouvrage est acceptable. L’impression est bonne. La mise en page est honnête. La langue française est respectée. Le contenu correspond au titre. Les 250 pages règlementaires y sont. Est-ce pourtant professionnel ?

C’est affaire de définition et de jugement. A mon sens, non. L’ouvrage ne passe pas ma barre. Il regorge de détails qui sapent sa crédibilité. Notamment des imprécisions, des affirmations péremptoires, des effets de manche journalistiques, des lieux communs et des déclarations naïves. Comment leur faire confiance sur le reste ?

L’imprécision commence dès la première phrase de la préface : « En 2018, les organisations n’attendaient pas cette vague massive de nomination de Chief Data Officers (CDO). » Qui sont ces organisations ? De combien de nominations parlons-nous pour évoquer une « vague massive » ? Nous ne le saurons jamais.

Autre exemple dans le texte : « La donnée a des propriétés incomparables : combinée à d’autres données, elle donne lieu à de l’information plus ou moins nouvelle qui a une plus ou moins une valeur d’échange ». Non seulement il y a des mots en trop dans cette phrase, mais son sens est obscur. Dommage ! « Combiné à d’autres données, sa valeur peut fortement augmenter » aurait été plus concis, plus facile à comprendre et plus exact.

Les affirmations péremptoires sont présentes dès l’avant-propos. Il entame : « La donnée et sa gestion dans un dispositif organisé sont devenues un sujet de préoccupation pour les institutions financières après la crise de 2008. » Il y a des dizaines de milliers d’institutions financières dans plus de cent-cinquante pays dans le monde. Et les données existaient déjà avant 2008. Qu’est-ce qui permet aux auteurs d’asséner cette affirmation ? Seraient-ils prêts à jouer un an de revenu sur la véracité de cette phrase ?

L’introduction offre quant à elle un bel exemple d’effet journalistique : « la donnée est devenue le Graal de la fin de cette décennie. Hors de celle-ci, point de salut numérique. » La phrase peut paraître belle, mais elle est creuse. Je vous propose de remplacer « donnée » par “environnement”, “voiture électrique”, “égalité homme-femme” ou n’importe quel sujet d’actualité. Vous n’aurez qu’à modifier légèrement le « numérique » de fin voire le retirer… Et la phrase fonctionne pour tout ou presque.

Un dernier exemple parmi d’autres : la naïveté. On lit : « Nous voyons de plus en plus des pratiques de financement de type « start-up » où les porteurs de projet vont défendre leurs initiatives devant un « comité d’investissement interne » ou devant la direction de leur métier ». A lire cette phrase, on pourrait penser que les start-ups ont inventé les comités de décision ou que ceux-ci sont une mode. Qu’y a-t-il de vraiment nouveau à ce qu’une direction métier valide un financement ? Je parierais bien un an de salaire qu’on peut trouver des exemples de comité de décision dans l’Egypte antique…

Est-ce à dire que l’ouvrage est mauvais ? Pas vraiment. Et c’est bien tout le problème. D’abord, le livre est très intéressant pour quelqu’un qui découvrirait le sujet. On y trouve tout le vocabulaire de ce domaine, quelques éléments de contexte et d’historique et un sommaire robuste qui fait le tour de nombreux enjeux.

Par ailleurs, les auteurs ont fait un travail de recherche académique poussé, ont visiblement interviewé de nombreux professionnels et offrent ci et là quelques exemples réels qui pourraient intéresser un professionnel néophyte qui prendrait son poste. Et tout cela vaut 28 euros, soit moins de quinze minutes de per diem d’un codeur junior. C’est une affaire !

Alors, est-ce moi qui suis un mauvais coucheur ? Peut-être. Et en même temps, quels sont les derniers ouvrages des cinq éditeurs business français à avoir fait un carton international et avoir été traduits en trente langues ? Pourquoi sont-ce toujours des auteurs anglo-saxons qui vendent leurs ouvrages à des millions d’exemplaires ?

Une réponse pourrait se trouver dans la catégorisation et la critique. Si le livre avait été dans une collection « grands débutants » et que des critiques avaient commenté : « une très bonne liste de sujets et des sources de qualité malgré quelques imprécisions et effets de style. Les novices apprendront beaucoup, ceux qui connaissent déjà le sujet nettement moins. Les auteurs ne révolutionnent pas le sujet, mais démontrent une expérience de première main auquel cet ouvrage sert d’introduction », j’aurais une opinion toute différente.

Je me dirais en effet : voici deux auteurs qui ont le mérite de vulgariser un sujet récent et complexe qui reste inconnu du plus grand nombre. Certes, ils ont écrit ce livre principalement pour faire leur propre publicité de consultants, mais cela reste un bon moyen d’avoir un premier niveau d’information pour un somme modique à l’échelle d’une entreprise. Qu’ils en soient remerciés !

Alors, à qui la faute de ma déception ? Aux auteurs ou à l’absence de ligne directrice de l’éditeur, de curation par un directeur de collection, de catégorisation de l’œuvre et de précisions données par des critiques compétents ?

Les bons ouvrages sont parfois très scolaires

Je me suis intéressé récemment à l’art d’écrire. J’ai donc acheté tous les livres disponibles qui traitent du sujet. Un seul a une approche professionnelle plutôt qu’universitaire : « Rédaction Professionnelle: Ce livre va changer votre façon de rédiger en moins d’une semaine ». Je ne peux pas le recommander. Il est bâclé.

Tous les autres sont en fait à destination de lycéns ou d’étudiants. Certains sont en fait des recueils d’exercices de grammaires (Mieux rédiger – 100 exercices ou encore Ecrire avec clarté, expression écrite et orale) et d’autres sont des listes de règles de français (Perfectionner Son Français : Écrire Sans Fautes Enrichir Son Vocabulaire Rédiger avec Élegance) ; un seul sort du lot : Savoir Rédiger Les Techniques pour Écrire avec Clarté et Efficacité d’Anne Spicher.

Cependant, ce manuel publié chez Ellipses est trop clairement destiné à des universitaires pour être utilisé par des professionnels. Tous les exemples sont littéraires et chaque remarque est tourné autour de l’acte de rendre un devoir à un professeur.

Quel dommage, pour une des dix langues les plus parlées au monde, de n’avoir aucun ouvrage de référence sur un sujet pourtant majeur : l’art, pour les professionnels, de bien écrire en français.

 

Le prix n’est pas gage de qualité

Dans presque tous les domaines, il y a un lien entre le prix et la qualité. Chez le boucher, le filet de bœuf est souvent l’option la plus chère. Dégustez à l’aveugle un vin sous cinq euros et un vin au-dessus de cinquante euros, même un néophyte repère une différence. Chez un constructeur automobile, la gamme de prix des modèles disponibles est affichée et ordonnée : la voiture plus onéreuse est meilleure.

On trouve des contre-exemples. Il y a toujours quelques arnaques et quelques bonnes affaires. Mais, dans l’ensemble, nous savons que quand on paie plus cher, c’est mieux. Ou tout du moins, nous nous attendons à ce que ce soit mieux.

Les livres professionnels sont une exception notable. D’abord, ils sont rarement chers. ils sont presque tous une affaire. C’est une bénédiction qui mérite de prendre un moment pour remercier les auteurs et les éditeurs. Trente euros est un maximum psychologique quasiment jamais dépassé. Dix-huit euros est une sorte de moyenne haute classique; sur liseuse nous sommes même souvent sous dix euros.

Le per diem d’un codeur junior est autour de 700€, sans même parler d’un consultant junior de cabinet de conseil (c’est plus !). 18€ représente moins de quinze minutes du temps d’un freelance. 18€ pour souvent 100 000 mots de conseils (300 pages), soit 10 heures de speech (Une conférence TED tourne autour de 18 minutes et 2 500 mots), c’est incroyablement peu cher. Les bons ouvrages devraient coûter cent fois plus !

Au sein de la bande de 5€ à 30€ qui forme le gros des livres professionnels, la hiérarchie est peu claire. J’ai acheté tous les livres sur l’art de réaliser une conférence façon TED. Je voulais en offrir un à des collègues qui vont justement monter sur scène pour une conférence interne. J’en ai trouvé un franchement décevant pour 18€, un correct pour 23€ et le meilleur est en fait le moins cher à 7,80€ chez J’ai Lu. Parler en public : le guide officiel TED, de Chris Anderson est le plus complet et le plus pertinent sur le sujet.

On pourrait se réjouir que le savoir soit si peu cher et que le meilleur ouvrage soit aussi le moins cher. Mais dans une logique ou le sujet est moins l’argent (30€ n’est pas cher non plus !) que le temps passé à trouver le bon ouvrage et à le comprendre, cette désorganisation de l’échelle des prix n’aide pas le lecteur. C’est un repère de moins pour le consommateur qui n’a même pas cette dimension à laquelle se raccrocher pour juger de la qualité de ce qu’il achète.

Alors, où et comment trouver un livre business de qualité ? Par bouche à oreille, en suggérant un titre en commentaire, ou au sein du Guide Curatus des livres business.

Bonnes lectures !

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