Je viens de réouvrir The Culture Map d’Erin Meyer. C’est un essai sur les différences culturelles entre nations dans le monde professionnel. Je me souvenais que c’était intelligent. J’avais oublié à quel point c’était brillant. Il fait partie de ces ouvrages coups de poing dont on peut dire : si vous travaillez dans un contexte international et que vous ne l’avez pas lu, c’est une faute professionnelle. En plus c’est court, amusant et utile même en vacances ! La version française se nomme La carte des différences culturelles: 8 clés pour travailler à l’international.

Erin Meyer sait de quoi elle parle. Comme elle enseigne à l’INSEAD elle a un observatoire vivant permanent sur presque toutes les cultures du monde : les étudiants en MBA devant elle ! Alors, quand il s’agit de travailler efficacement ensemble, qu’est-ce qui fait les différences culturelles entre les Américains, les Français, les Indiens ou les Japonais ? L’autrice propose 8 dimensions toutes très robustes : la communication (explicite ou implicite), les reproches (directs ou indirects), la conviction (théorique ou pratique), le leadership (égalitaire ou hiérarchique), la décision (consensuelle ou par le chef), la confiance (par la réalisation ou par la relation), le désaccord (frontal ou discret) et l’horaire (précis ou directionnel).

Croyez le ou non : ces huit dimensions sont non corrélées. Une culture peut être n’importe où sur chaque axe. Plus intéressant encore, ces huit dimensions sont utiles pour comprendre des sous-cultures même au sein d’une organisation professionnelle. Le département achat peut-être un petit Japon pendant que le département finance peut être une petite France. Ces huit dimensions cherchent moins à catégoriser une nation que le fonctionnement de groupes humains dans le monde du travail.

Vous avez compris ? Cela reste obscur ? Entrons dans le vif du sujet et ne craignons pas la caricature ! Les paragraphes qui suivent vont peut-être choquer. Bien sûr une culture ne se limite pas à quelques affirmations. Bien sûr il y a des différences régionales, de secteur d’activité et d’individus. Mais, rappelle l’autrice, il y a tout de même des traits de caractères nationaux. Et nous sommes chacun très mauvais juges de notre propre culture. Elle nous semble si naturelle ! Alors, prêt à affronter le regard de l’autre ?

Dimension 1 : La communication. Explicite dans les environnements à faible contexte ou implicite dans les environnements à contexte riche

Il y a les cultures explicites et les cultures implicites. La culture la plus explicite de nos jours se trouve aux Etats-Unis. L’adage de la communication dans le monde des affaires, que vous avez peut-être entendu est « First, you tell them what you are going to tell them, then you tell them what you want to tell them, and finally you tell them what you told them ». On y valorise le fait de s’exprimer clairement de manière directe. Et l’ouvrage de référence de la communication, tiré à des millions d’exemplaires et mis en avant par tous les cabinets de conseil est Le Principe de la Pyramide, écrit par Barbara Minto. La culture la plus implicite de nos jours se trouve au Japon. Utiliser les méthodes de communication américaines y est perçu comme grossier. Pourquoi dire les choses de manière aussi crue alors qu’on se comprend tout aussi bien à demi-mots ?

L’autrice Erin Meyer explique la différence entre les Etats-Unis et le Japon par des considérations historiques. Les Etats-Unis sont une nation récente construite par des immigrés pour lesquels l’Anglais n’était pas la langue maternelle. Le mode de communication qui a prévalu est une communication directe où on dit ce que l’on veut dire de la manière la plus directe et explicite possible. A l’inverse le Japon est une nation ancienne et très endogène dont les membres partagent des millénaires de culture commune. On peut y être beaucoup plus subtil en termes de communication et se comprendre à demi-mot.

Cette dualité entre Etats-Unis et Japon se rejoue au sein de toutes les grandes organisations. Chaque département dont les membres se connaissent depuis longtemps est un petit Japon avec ses mots, son jargon, ses codes, son histoire et donc sa communication implicite. Cela explique probablement la faible qualité rédactionnelle de beaucoup de documents internes et le fait que cela ne paraît pas poser problème aux membres du département. Chaque consultant externe qui arrive dans un département est un Américain qui a besoin de revenir à un mode de communication explicite pour comprendre. Chaque fusion de deux départements est un choc des cultures. Alors, comment gérer les choses lorsque deux groupes de personne ont des styles de communication différents ?

Dans le doute il vaut mieux être « low context », et donc explicite. Deux high context de cultures différentes ne se comprennent pas. L’Iran est la seconde culture la plus riche en contexte (et donc implicite) dans les classements d’Erin Meyer. Cela ne signifie pas qu’un Iranien et un Japonais se comprennent à demi-mot. Au contraire ! Chacune de leur culture est extrêmement riche mais cette richesse est une inconnue pour ceux qui n’ont pas été éduqués en son sein. La communication explicite est donc le seul passeport viable entre des cultures diverses.

Et on peut être un excellent communicateur dans sa culture et mauvais dans une autre. Un grand orateur japonais peut laisser une audience internationale circonspecte. Et un speaker révéré aux Etats-Unis peut paraître grossier à une audience japonaise, tellement il aura été direct inutilement. Tenter de s’adapter est potentiellement une mauvaise piste selon Erin Meyer. C’est très difficile et il n’est pas sûr que l’on puisse maîtriser tous les codes. Son conseil est plutôt de prévenir au sujet de son style et de ses biais. Celui qui fonctionne dans une culture « Low context » pourra prévenir son audience en s’accusant d’être « un peu direct et explicite » ; celui qui fonctionne dans une culture « High context » pourra s’excuser « d’avoir l’habitude de parler à des spécialistes qui se comprennent à demi-mot, n’hésitez pas à m’interrompre si je ne suis pas clair où si j’utilise un jargon qui n’est pas évident pour vous ».

Et vous, quelle est votre mode de communication au travail ? Plutôt implicite dans une organisation riche de contexte où on se comprend à demi-mot ? Ou plutôt explicite dans une organisation à faible contexte où la communication se veut claire, précise et compréhensible par un adolescent qui ne connaîtrait pas le sujet ?

//// Arrêt le mercredi 22 juillet 2020 à 6:59 du matin ///

Les 7 autres dimensions viendront progressivement