Je suis tombé par hasard chez mon libraire sur un curieux petit livre jaune : L’histoire de la langue française. L’éditeur sentait l’ancien monde mais aussi la respectabilité : Le Figaro Littéraire. Cependant, un brin de fantaisie était suggéré par sa couleur vive et son sous-titre : « un vrai roman ». Et l’œuvre avait l’air courte : 120 pages écrit gros sur un format peu large. J’aime les œuvres courtes. Cela montre que l’auteur a fait preuve de synthèse. Bref, je l’ai acheté.

Bien m’en a pris et je le recommande chaudement. C’est une réflexion intelligente sur l’évolution des langues, une histoire de France à travers les mots et une apologie de l’Académie française. Le tout se lit en deux heures.

On y apprend notamment que le Français est une langue indo-européenne. C’est-à-dire qu’il est cousin de presque toutes les autres langues du continent. Et qu’il est construit sur des strates successives de Celte (dont il reste bien peu), de Latin (à partir du 1er siècle), de Germanique (de Clovis au IVème siècle jusqu’à Charlemagne au IXème siècle), de Viking (aux IXème et Xème siècles), d’Arabe à diverses périodes, puis au XVIème siècle d’Italien (alors que Catherine de Médicis et Mazarin soufflent un vent d’Italie sur la cour) avant une nouvelle couche de Latin et de Grec (lors de la traduction des ouvrages antiques redécouverts à la Renaissance). Ensuite le Français continuera d’être influencé, notamment par l’Anglais et l’Américain aux XIXème et XXème siècles.

On y rappelle aussi les étapes de la normalisation de la langue. L’ordonnance de Villers-Cotteret en 1539 sous François Ier est l’acte fondateur. Le Français devient langue officielle dans tout le royaume. L’Académie française, fondée par Richelieu en 1635, est un second acte pour uniformiser une langue jusqu’ici très protéiforme. La parution des dictionnaires marque le IIIème acte : d’abord celui de Richelet en 1680 puis le Dictionnaire de l’Académie en 1694. Ils fixent le sens des mots. Le IVème acte a fait le rayonnement de la langue à l’étranger : l’Encyclopédie. Elle est publiée de 1751 à 1772 et rassemble 72 000 articles et 3000 planches dans 75 volumes. Un monument !

Enfin, l’école républicaine est le Vème et dernier acte. Jusque là le Français était encore le parler de Paris, du pouvoir et des grands axes commerciaux. De nombreuses langues locales évoluaient en parallèle. En 1794 le rapport de l’Abbé Grégoire conclut à la nécessité de faire disparaître ces dialectes régionaux. Qu’on s’en réjouisse ou qu’on s’en désole, on sait que ce programme sera mené à bien. D’abord avec l’enseignement élémentaire d’Etat créé en 1832. Puis en en 1882 lorsque cet enseignement élémentaire est rendu obligatoire et gratuit jusqu’à douze ans. Le Français s’impose comme seule et unique langue du pays.

L’ouvrage contient aussi une réflexion intéressante sur la manière dont les langues évoluent. Les langues orales sont plus fragiles aux courants externes : il nous reste à peine une centaine de mots gaulois. Les langues écrites résistent mieux mais prennent tout de même une coloration selon la puissance dominante du moment. Le Latin, le Franc, l’Italien ou l’Anglais ont tous en leur temps influencé le Français. Souvent en lien avec le facteur de domination. Le vocabulaire du commerce pour le Latin, militaire pour le Franc, financier pour l’Italien, ou technique pour l’Anglais.

Et les langues subissent des courants internes d’invention verbales et de rationalisation. Rabelais au XVIème siècle, les Précieuses au XVIIème siècle ou encore les divers argots ont participé à diversifier le langage. D’autres ont plutôt contribué à l’épurer. Au XVIème siècle les écrivains de la Pléiade, dont Ronsard et Du Bellay, au XVIIème siècle Malherbe et l’Académie française, et de nos jours les dictionnaires et institutions publiques qui participent à défendre la langue contre trop de néologismes. Une langue navigue entre tous ces courants.

Finalement l’auteur fait l’apologie des débats et tensions entre la langue d’hier et celle de demain. Il rappelle qu’une langue vivante évolue sans cesse. Les mots qui nous paraissent laids à l’oreille peuvent lui devenir agréable après qu’ils sont devenus habituels. Les modes d’une époque peuvent s’effacer et disparaître. Ce qui reste marque durablement la société et acquiert la patine du temps. Il faut accueillir les inventions verbales tout en se défendant d’invasions délétères. Et s’interroger chacun sur nos choix d’expression.

Alors, des mots nouveaux du dictionnaire à la simplification de l’orthographe ou à la féminisation des noms de métiers : participons activement à ces débats passionnants ! Ils disent quelque chose de l’air du temps. Quant à moi, pendant que les immortels s’entretueront dans leurs habits verts, j’irai repasser la porte du libraire voir quel autre joyau se cache sur ses étagères…


Intéressez-vous à l’auteur Jean Pruvost, c’est un expert et passionné du sujet comme on en trouve rarement…