Tout le monde ou presque connaît les conférences TED. Si ce n’est pas le cas, allez tout de suite sur http://www.ted.com. Beaucoup ont oublié que les initiales signifient Technology Entertainment Design ; un début de piste intéressant quant à ce qui fait le succès du format. Et très peu d’entre nous connaissons vraiment les règles du format…

Bien sûr, nous percevons en les voyant que les conférences TED sont formatées. Pourtant, il y en a des milliers et elles présentent une grande variété. Quel est le secret ? Y en a-t-il un ? C’est ce que Chris Anderson, qui dirige TED à partir de 2001, partage dans son livre. C’est peu dire qu’il a un peu d’expérience sur son sujet !

D’abord les règles TED : jamais plus de 18 minutes (pour info, c’est 2500 mots) et pas de questions après la conférence. La première règle oblige les intervenants à condenser et nous assurer que s’ils sont peu intéressants, ce sera au moins court ! Le présupposé de la seconde règle est qu’un autre intervenant sera toujours plus intéressant pour l’audience qu’une session de questions-réponses. Les questions sont rarement pertinentes, intéressantes et courtes ; sans parler des réponses…

Ces deux règles sont-elles tout ce qu’on trouve dans le guide de Chris Anderson ? Evidemment non. Prêt à un condensé ?


Cet ouvrage fait partie d’un recueil de synthèses (la bibliothèque), d’une sélection d’ouvrages que tout le monde ou presque devrait avoir lu (le label Curatus) et d’une liste de livres au message brillant, mais simple (les 3-line punchers). Prenez le temps de parcourir ces listes. Certains titres pourraient vous intriguer !


D’abord, l’auteur insiste sur le fait que bien parler en public est une compétence utile qui s’apprend et demande du travail. C’est normal d’avoir le trac de parler en public : les enjeux sont importants et nous avons en général peu l’habitude. Personne ne naît conférencier émérite ; derrière toutes les excellentes conférences, il y a… beaucoup de travail en respectant un jeu de règles.

Les règles de base

Première règle : avoir quelque chose à dire. Il nous faut un message pour le monde. Nous serons convaincants si nous sommes convaincus. Le format TED est si plaisant sur la forme que l’on pourrait croire qu’on peut se passer de fond. Rien n’est plus faux : si le message est creux, l’audience l’entendra et le sentira. Avez-vous un message ? Quelle est votre idée qui peut transformer la vision du monde de ceux qui vous écoutent ?

Une bonne conférence montre pourquoi le sujet est important et étoffe les arguments à l’aide d’exemples, d’anecdotes et de faits réels. Elle relie cela au sein d’un fil conducteur qui mentionne uniquement les points susceptibles d’être suffisamment explorés pour fasciner l’auditoire.

La structure du fil conducteur peut être très simple : introduction (établir le sujet), contexte (expliquer l’importance, explication des idées principales, implications pratiques puis conclusion forment cinq étapes classiques et robustes qui fonctionnent. Évidemment, il faudra un petit quelque chose en plus pour en faire une expérience mémorable. Jusqu’ici, cela a l’air très simple. Non ? Voyons plus en détails.

La checklist pour un bon sujet (avant de commencer)

Un « non » sur une des questions qui suit devrait vous faire reconsidérer de travailler sur le sujet de la conférence. Pouvez-vous répondre « oui » à tout ?

  • Suis-je je passionné par le sujet ?
  • Suscite-t-il naturellement la curiosité d’une audience ?
  • Mon intervention apportera-t-elle quelque chose aux spectateurs ?
  • Ce que je dis est-il nouveau ou déjà entendu ?
  • Suis-je capable d’expliquer cela dans le temps prévu ?
  • Suis-je crédible sur ce sujet ?
  • Comment résumer mon propos en 15 mots ?
  • Ces quinze mots donnent-ils envie d’assister à la conférence ?

Avez-vous répondu « oui » à tout ? Il est temps de passer à la suite : ce qui vous aidera à faire la différence. Chris Anderson propose plusieurs axes : le contact, la narration, l’explication, la persuasion, la révélation, le final, une bonne préparation, et quelques conseils additionnels.

  1. Etablir le contact

Pour établir le contact, pensez à regarder le public et à sourire de manière naturelle. Il faut être heureux d’être là et le montrer. Pensez à montrer votre vulnérabilité, cela peut paraître contre-intuitif, mais le public adore (note : lisez Save the Cat de Blake Snyder pour plus d’explication sur ce point). Restez authentique cependant et évitez de sombrer dans l’outrance, c’est un entre-deux subtil.

Raconter une histoire est une introduction classique, mais solide. Le public aime les récits. Et cela permet d’ajouter dès le début quelques éléments personnels, de la couleur et peut-être un trait d’humour. Quatre recommandations de bon sens : choisissez un personnage qui suscitera facilement l’empathie (pourquoi pas vous si l’histoire est vraie ?), créez de la tension en éveillant la curiosité (intrigue ou risques réels), donnez assez de détails pour être crédibles mais pas trop, et soignez la chute : la solution doit être satisfaisante, c’est-à-dire drôle, émouvante ou révélatrice.

Faire rire est un atout majeur si vous y parvenez. Mais c’est aussi glissant : il faut être drôle et de bon goût. C’est beaucoup moins évident qu’il n’y paraît. Essayez d’avoir une plaisanterie toute prête en cas de trou de mémoire ou de problème technique, de rire de vous-même plutôt que de quelqu’un d’autre, glissez un peu d’humour dans votre présentation projetée… Il y a de nombreuses possibilités. Mais ne vous forcez pas si ce n’est pas naturel ; cela risquerait de tomber à plat.

Enfin, attention à ne pas créer la défiance. Évitez de citer des noms pour tenter de vous crédibiliser, de raconter des histoires dont le seul but est de vous mettre en avant, d’arranger les faits si l’histoire vous concerne (vous êtes filmé ! les arrangements avec la réalité se sauront…) et de manière générale de parler de vous plus que de l’idée. Tout cela met l’audience sur ses gardes. Laissez votre message occuper la scène, on se souviendra encore mieux de vous !

  • Raconter une histoire

Les contes, fables et paraboles fonctionnent bien. Une histoire peut donc constituer l’intégralité du fil conducteur. Beaucoup de conférences efficaces sont construites du début jusqu’à la fin sur ce modèle.

Intégrer son intervention dans une seule histoire a le mérite de créer un fil conducteur de fait. Et c’est plus simple pour mémoriser le texte. Si l’histoire est fascinante, le public y prendra un grand plaisir. Si en plus elle vous concerne, vous créerez plus facilement de l’empathie.

Pensez à emmener votre public à l’aventure dans un monde qu’il ne connaît pas. La plupart d’entre nous aimons voyager et découvrir. Pour donner à votre conférence l’aspect d’une plongée dans un monde nouveau, pensez à projeter une série de très belles images et à les commenter pour raconter votre aventure, votre processus créatif ou tout simplement dérouler l’histoire.

  • Expliquer clairement

Expliquer à beaucoup de monde en peu de temps est loin d’être évident. Chris Anderson suggère d’éveiller la curiosité pour qu’on vous écoute, d’introduire les concepts un par un pour ne perdre personne, de recourir à la métaphore pour créer des images mentales et de donner des exemples. Cela semble basique ; mais votre projet de texte de conférence contient-il ces quatre éléments ?

Pour bien choisir sa métaphore, il conseille de se raccrocher à quelque chose que tout le monde connait et qui est en lien avec le fil rouge de la conférence. Il propose ensuite d’utiliser les concepts et analogies qui viennent tout de suite en tête au plus grand nombre afin de se mettre à la portée de l’auditoire. C’est évident ; mais le faisons-nous ?

Il conseille aussi de choisir et articuler avec insistances les mots de liaison. Si ce que vous expliquez est complexe, aidez l’audience en mettant en exergue les liens entre les phrases : donc, cependant, d’un autre côté, c’est pourquoi, bien que, en résumé, etc.

Enfin, bannissez le jargon, les termes techniques et les acronymes. Même avec les audiences supposées techniciennes. Il y a toujours des néophytes dans la salle. Et personne ne connait absolument tous les termes techniques. Si vous devez en utiliser quelques- uns, soyez prêts à les expliquer systématiquement.

  • Convaincre

Faire changer quelqu’un d’avis est un art très difficile. Commencez par créer le doute et prenez le temps de démolir en règle les convictions que vous souhaitez tenter de modifier chez votre auditoire. Sinon, chacun se raccrochera à ses croyances et rejettera en bloc les éléments nouveaux que vous apportez.

Gardez en tête qu’une démonstration logique n’a jamais convaincu personne qui n’y était pas déjà préparé. C’est comme cela ! Les êtres humains ne sont pas des machines. Et les audiences apprécient moins la logique que nous ne le pensons : elle n’embrase pas les imaginations et ne fait pas se lever les foules.

Il faut donc préparer le public au raisonnement logique qui va suivre. Après qu’il a été préparé, les techniques sont plus classiques et connues. Le raisonnement logique par petites touches et avancées progressives fonctionne. Attention cependant à ne pas avoir un lien faible ou un sophisme au milieu.

Comme il est difficile de donner du rythme à une conférence logique fondée sur le raisonnement, pensez à l’intégrer dans une narration. Une énigme sous forme d’enquête est une technique qui a fait ses preuves : elle emmène le public avec vous et crée un lien d’émotion qui va plus loin que la simple raison. Une autre méthode est le raisonnement par l’absurde. Il permet souvent de créer des situations comiques.

Note : pour habiller votre démonstration logique, intéressez-vous à Influence & Manipulation de Robert Cialdini. Si en abuser est dangereux, ignorer tout des règles énoncées par ce spécialiste de la conviction est une erreur.

  • Faire des révélations

Chris Anderson suggère d’apporter un élément sur scène pour dramatiser le moment en dévoilant quelque chose. Cela peut être montrer quelque chose de nouveau, faire une démo, décrire une vision ou projeter une série de très belles photographies. N’importe quoi qui participe à marquer les esprits et sortir du lot.

Une contre-vérité, la réponse à une énigme, une leçon de vie apprise difficilement, la découverte d’un monde inconnu, une information trop peu partagée, les résultats d’une analyse scientifique longue et complexe, une nouveauté technique… La liste est longue de ce qui peut constituer une révélation.

Qu’allez-vous apprendre à votre audience qu’ils ne savent pas déjà ?

  • Soigner le final

L’auteur remarque avec raison que trop de conférences finissent sur une mauvaise note. « Je vois que le temps est écoulé… », « pour finir, je voudrais remercier mon équipe… », « j’espère que nous aurons l’occasion d’en reparler… », « avez-vous des questions ? » sont autant de conclusions faibles. Quel dommage !

« Merci » peut suffire à marquer la fin. Mais nous pouvons faire mieux : ouvrir un sur un sujet plus large, appeler à agir, partager un engagement personnel, une belle phrase dont l’audience se souviendra, un élément qui fait écho à l’introduction, une envolée lyrique (avec légèreté)… Piochez parmi ces suggestions pour améliorer votre note finale.

Qu’avez-vous prévu pour conclure ?

  • Bien se préparer

L’auteur partage une longue expérience de la préparation de conférences. Lire le chapitre est une bonne idée si vous en préparez une vous-même.

En synthèse : jouez sur vos forces et transformez vos faiblesses en atout. On a vu de superbes conférences sans présentation, parce que le conférencier avait un contact exceptionnel avec la salle. On a vu d’excellentes conférences réalisées par un conférencier moyen au ton monocorde, parce qu’il servait en fait de sous-titres vocaux à un diaporama exceptionnel. On a vu des présentations passionnantes lues de bout en bout par l’intervenant, parce que le texte était d’une rare beauté à l’oreille.

Tout est possible ou presque. D’ailleurs, un format trop standardisé fatigue l’audience. Sortir du lot signifie toujours faire quelque chose de légèrement différent. Si tous les conférenciers font le même show avec la même trame dans le même timing, l’auditoire s’en rendra compte et tout sonnera faux. Il n’y a pas une méthode, mais plusieurs.

Une règle cependant vaut pour tout le monde : la préparation. Connaître son sujet, connaître son texte, l’avoir répété… Tout cela est non négociable et ne pas le faire conduit immanquablement au pire : trou de mémoire, problème technique, oubli d’un élément important pour comprendre, perte du fil de l’histoire, dépassement du temps dérapage sur scène, etc. La liste de ce qui peut arriver est longue.

Les bons conférenciers qui semblent improviser ou ceux qui ont peu répété connaissent en fait leur sujet sur le bout des doigts. Ils font en fait leur intervention pour la centième fois. Eux sont si à l’aise et tellement habitués à rebondir en cas de problème qu’ils semblent monter sur scène sans avoir répété. Ce n’est qu’une impression. Si vous n’avez pas déjà donné votre conférence des dizaines de fois, préparez-vous !

Bonus : La checklist de la répétition

Chris Anderson vous suggère de vous entraîner face à un public qui connait mal le sujet, et de leur suggérer de s’intéresser en particulier aux points suivants :

  • Ai-je capté votre attention dès le début ?
  • Suis-je parvenu à établir un contact visuel ?
  • Ma conférence vous a-t-elle apporté une nouvelle idée à mûrir ?
  • Êtes-vous satisfait de chacune des étapes du voyage parcouru ensemble ?
  • Y avait-il assez d’exemples ?
  • Le ton employé était-il juste ? Avez-vous eu l’impression que je discutais avec vous ou plutôt d’avoir subi un sermon ?
  • Le ton et le rythme étaient-ils assez variés ?
  • Avais-je l’air de réciter du par cœur ?
  • Qu’avez-vous pensé des traits d’humour ? Qu’est-ce qui était drôle ? Qu’est-ce qui ne l’était pas ?
  • Qu’avez-vous pensé des visuels ? Utiles ou de trop ?
  • Mes mouvements sur scènes paraissent-ils naturels ?
  • Ai-je fini dans le temps imparti ?
  • Y a-t-il eu des temps morts où vous avez pensé que c’était trop long ?
  • Que pourrais-je couper dans la conférence ?

Quelques derniers conseils

Quels sont les pièges les plus classiques ? Le boniment (i.e. expliquer qu’on ne pourrait pas couvrir un sujet aussi complexe en seulement 15 minutes ; c’est en partie vraie, mais dans ce cas, il ne fallait pas monter sur scène), le délayage (le temps de l’audience est précieux, soyez dense, précis et courts, chaque minute compte), parler trop de soi (un peu crée du lien, trop n’intéresse personne), l’inspirationnalisme (i.e. surjouer le côté visionnaire sans substance sous-jacente)

Comment s’habiller ? Évidemment, cela dépend. Mais de quoi ? Du code vestimentaire s’il y en a un (préférez être plus chic que moins), de si votre prestation est filmée (certains vêtements passent mal à la caméra, renseignez-vous ou testez), de si vous aurez une oreillette (gare aux boucles d’oreilles), de la présence d’un bloc de batterie à la ceinture (prévoyez une ceinture…), de l’arrière-plan (évitez d’être de la même couleur…).

Comment gérer son stress ? Si vous êtes à l’aise avec vous-même et avec votre sujet, normalement vous n’avez pas le trac. Certes, c’est facile à dire. Que faire si vous avez le trac ? Respirez profondément et pratiquez quelques exercices de yoga si vous en connaissez ; prenez une posture physique ouverte (allez voir le TED d’Amy Cuddy sur le sujet) ; répétez-vous « Je peux le faire ! » (la méthode Coué, tout comme l’autohypnose, fonctionne), ayez mangé et bu (évitez l’estomac vide et la gorge sèche), faites-vous des amis dans le public (sympathisez avec quelques personnes avant votre passage, vous pourrez trouver leur visage dans la salle), utilisez le pouvoir de la vulnérabilité (parlez de votre stress quand vous montez sur scène, le public comprend et apprécie).

Comment avoir une voix intéressante ? Cela se travaille, pensez à prendre des cours de théâtre et de chant, cela aide. Pour la version en une minute : utilisez les silences, détachez des mots, variez les rythmes (plus rapide pour les anecdotes, plus lent pour les sujets majeurs), variez le volume, variez la hauteur de voix, écoutez le TED de Julian Treasure, mettez de l’émotion dans votre discours. Tout cela sans surjouer ou paraître faux. Facile ? En fait, non. Cela se travaille.

Et pour finir, n’oubliez pas : le contenu l’emportera toujours sur le style.

Appendix – Un sélection de conférenciers à regarder.

Voici une liste quasi exhaustive des conférenciers cités dans le livre de Chris Anderson. Parfois, c’est pour un aspect de technique oratoire plus que pour le fond. Mais on peut imaginer que cela fait une bonne liste de conférences TED à regarder.

Bon visionnage !

Sophie Scott, Salman Khan, Robin Murphy, Amanda Palmer, Brené Brown, Ken Robinson, Elizabeth Gilbert, Ron Gutman, Rghava KK, Pia Mancini, Sherwin Nuland, Sophie Scott, Monica Lewinsky, Rob Reid, Dan Pink, Lawrence Lessig, Andrew Solomon, Ben Saunders, Eleanor Longden, Dan Gilbert, Robin  Hogarth, Steven Pinker, Hans Rosling, David Deutsch, Nancy Kanwisher, Steven Johnson, David Christian, Bonnie Bassler, Barry Schwartz, Daniel Dennet, Dan Pallotta, Siefried Woldhek, Emily Oster, Rebecca Newberger Goldstein, David Gallo, Shea Hembrey, David Macaulay, Reuben Margolin, Ross Lovegrove, Louis  Schwartzberg, Markus Fischer, Jeff Han, Chris Milk, Sylvia Earle, Amy Cuddy, Mac Stone, Jer Thorp, Drew Barry,  Daniel Kahneman, Pamela Meyer, Gina Barnett, Andrew Solomon, Mark Ronson, Susan Solomon, Susan Cain, Mary Roach, Bill Gates, Maysoon Zayid, Jamie Oliver, Zak Ebrhim, Alice Goffman, Ed Yong, Michael Sandel, Alexa Meade, Elora Hardy, Carl Zimmer, J. J. Abrams, Edith Wider, Fei Fei Li, Elon Musk, Esthee Perel, Bruan Stevenson, Roman Mars, Chip Kidd, Julian Treasure, Kelly McGonigal, Jon Ronson, Juan Enriquez, Jill Bolte, Woody Norris, Steeve Scklair, Neri Oxman, David Eagleman, Sarah Kay, Clint Smith, Malcolm London, Suheir Hammad, Shane Koyczan, Billy Collins, Latif Nasser.


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