Que peut nous apprendre Andy Grove (l’ex-PDG d’Intel) dans un ouvrage qui date de 1983 ? J’admets que je n’en attendais pas grand-chose. Je ne l’ai lu que pour une seule raison : il est fréquemment cité par trop d’excellents top managers américains contemporains pour l’ignorer. Au fond, c’est un peu comme ne pas avoir lu Where the Wild Things Are ou The Cat in the Hat. Ce n’est pas bien grave, mais c’est manquer une partie de la culture et de l’imaginaire américain.

Notamment, il semble être la source de nombreux concepts repris à l’envie par bien des auteurs ensuite : Peak performance, Skill-Will matrix, One-on-ones, Objective Key Results, hybrid organization, gamification, etc. L’auteur ne prétend pas les avoir inventés, donc il est possible que certains datent d’encore plus loin. Mais c’est intéressant de trouver dans un livre de 1983 des concepts que l’on présente parfois comme révolutionnaires ou tout nouveau dans les années 2020.

L’ouvrage a une cible originale : le management intermédiaire. Pas les PDG, mais pas les responsables de petite équipe non plus. Si vous êtes dans ce cas, l’auteur postule que vous êtes de fait un « mini-PDG » et vous exhorte à vous comporter ainsi. Qu’est-ce que cela signifie ? Trois éléments au moins :

  • Pensez en termes de production, comme si vous étiez une usine
  • La production d’un manager est celle de ses équipes et des équipes qu’il influence autour de lui, pas la sienne
  • Cherchez à permettre à chaque membre de l’équipe de fournir son « meilleur individuel »

Comment faire cela ? La réponse dans l’ouvrage. Et voici quelques points d’aide-mémoire sur la base de ce qui m’a intéressé le plus. C’est cependant une sélection personnelle.


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Pensez comme une usine. L’auteur prend l’exemple d’un restaurant qui sert le petit-déjeuner pour montrer le lien entre activité des serveurs et résultat tangible pour les clients. Evidemment, l’important est le résultat tangible (output) et il existe de nombreux moyens d’industrialiser les activités pour être beaucoup plus efficace (input). Optimiser le « black box » qui transforme l’input en output est le métier du manager.

Déléguez, mais n’abdiquez pas. Andy définit l’abdication comme le fait de donner un ordre et de ne pas ensuite faire le suivi. Le manager est alors à la merci du bon vouloir de son subordonné. Il a abdiqué.

Gardez du temps libre. Gérez votre calendrier activement, refusez le travail que vous ne pourrez pas gérez et gardez suffisamment de temps disponible pour répondre aux urgences qui ne manqueront pas d’arriver.

Tirez le meilleur des réunions. Le pouvoir d’un manager est d’influencer ses équipes. Les réunions sont un excellent lieu pour le faire. Profitez-en ! En particulier les « one-on-one » qui sont un lieu d’échange d’information et de coaching et les réunions larges qui sont des occasions de « role modeling ». L’auteur va beaucoup plus loin avec des remarques pertinentes sur les différentes catégories de meetings.

Prenez des notes. C’est un excellent moyen de rester concentrer, de synthétiser et de mémoriser la conversation. Et si dans 95% des cas vous ne les relisez jamais, c’est normal.

Décidez après un débat ouvert. L’auteur suggère trois étapes pour prendre une bonne décision : avoir d’abord un débat très ouvert, organiser une prise de décision claire et demander ensuite que tout le monde s’aligne sur la décision (i.e. même ceux qui n’étaient pas d’accord). Et il suggère de faire attention aux tendances des groupes de ne pas prendre de décision et de s’accorder sur quelque chose de tiède. Le chapitre sur l’art de prendre une décision n’est pas aussi poussé que Vous allez commettre une terrible erreur d’Olivier Sibony, mais pour une version en 10 pages en 1983… ce n’est pas mal !

Définissez les Objectifs et les grands jalons. Le concept est très simple et ne demande pas plus d’explication. Notons que Wikipédia attribue en effet la paternité du concept à la monde d’ « OKR » (Objective Key Results) à Andry Grove.

Acceptez le double reporting. Il est normal qu’un spécialiste ait deux chefs : son manager direct et le responsable de sa spécialité. Un responsable de la sécurité d’une usine rapporte à la fois en local au patron de l’usine où il se trouve et au global au responsable monde de la sécurité. Cela paraît compliqué en théorie, en pratique l’organisation hybride est très simple. L’auteur cite d’ailleurs Alfred Sloan : “Good management rests on a reconciliation of centralization and decentralization”.

Acceptez d’avoir plusieurs rôles dans l’organisation. Nous avons tous plusieurs rôles dans nos vies. Nous pouvons être ouvrier dans une usine dans la semaine, coach d’une équipe de foot le week-end (responsable d’équipe) et emmener pendant les vacances un large groupe de colonie de vacances en randonnées (manager de plusieurs équipes). De même, au travail, nous pouvons être exécutant, expert, chef d’équipe ou manager selon les situations.

Créez une culture et des règles.  L’auteur différencie les situations où l’individu prévaut de celles où le groupe prévaut. Et il différencie les situations simples des situations complexes. Le chapitre est un peu théorique, mais la conclusion opérationnelle : un manager doit participer à définir une culture qui permet de définir un cadre qui aide à prendre les décisions complexes. Et un manager doit définir un cadre de règles et de normes qui simplifie la complexité perçue des situations.

Pensez en termes de skill-willNous avons deux raisons possibles pour ne pas faire quelque chose : nous ne savons pas le faire ou nous ne voulons pas le faire. La première responsabilité du manager est de former les premiers et de motiver les seconds.

Adaptez votre management en fonction de la maturité à la tâche de votre collègue. Cela paraît évident, mais reste bon à rappeler. Si le job est nouveau pour la personne, il faudra détailler les activités en détail. Si la personne est experte du sujet, lui donner l’objectif suffira. SI vous faîtes l’inverse, vous perdrez la première et vexerez la seconde. Evident, non ? Mais lorsqu’on ne connait pas parfaitement ses collègues, on peut parfois se méprendre. Adaptez-vous assez votre style de management ?

Créez une compétition ou au moins une manière de mesurer. De nombreuses personnes aiment s’améliorer et battre leur propre record. Et certaines apprécient la compétition entre individus et entre équipes. Créez un environnement où ils pourront compter les points.

Réalisez des revues de performance par écrit. L’auteur prend les revues de performance très au sérieux. Ce qu’il décrit ressemble à s’y méprendre à ce que j’ai connu pendant douze ans chez McKinsey. Lisez le chapitre ! Andy Grove ne cache pas que c’est un de ses sujets de prédilection et un des sujets sur lesquels il donnait des formations au sein d’Intel. Il pousse loin dans le partage d’expérience et on sent qu’il a beaucoup pratiqué. La réflexion sur le fait que le mémo écrit par le manager doit être envoyé quelques jours avant pour permettre une discussion de coaching portée sur les solutions est intéressante et montre une longue expérience de la chose.

Formez vous-même vos équipes. Le rôle du manager est de permettre à son équipe d’être la plus productive possible. Et cette production dépend de la motivation (will) et de la compétence (skill). Il n’y a pas de débat sur le fait que motiver (will) est le rôle du manager. Il ne devrait pas y avoir de débat sur le fait que former (skill) est également son rôle. Ne pas prendre en main la formation de ses équipes est se priver d’un puissant levier d’action.

Tous les chapitres ne sont pas repris ci-dessus. Notamment celui sur le recrutement et comment convaincre quelqu’un qui veut partir de rester. Pensez à parcourir l’ouvrage d’Andy. C’est plein de bon sens et partage l’expérience certaine d’un praticien respecté qui a prouvé que sa méthode fonctionne. 20 ans d’expérience partagée pour quelques euros, c’est presque trop beau pour être vrai !

Bonne découverte !