Quelles sont les compétences clés d’un excellent CEO (DG en français) ? La question peut sembler galvaudée. N’existe-t-il pas des milliers d’articles sur le sujet et une littérature pléthorique ? Certes, mais elle se contredit fréquemment. Ou plutôt, elle est kaléidoscopique : plusieurs articles qui prétendent partager les trois rôles les plus importants du CEO mettront chacun en avant des points différents.

En fonction de la taille de l’entreprise, de la conjoncture économique, du secteur d’activité, de l’organisation de la société et de la personnalité du dirigeant, ce qui fait l’excellence d’un CEO pourra connaître des variations extrêmes. Et les points de vue sur l’art d’être un CEO hors norme sont rarement le fruit d’une analyse scientifique robuste. Comment différencier les bonnes pratiques des chimères dictées par la mode ?

Beaucoup d’études évoquent les rôles du CEO. La première datée de la fin des années 1960 note : figurehead, leader, liaison, monitor, disseminator, spokesperson, entrepreneur, disturbance handler, resource allocator, and negotiator. Voici une bonne liste de compétences à développer avant de prendre le poste. Mais quelle est l’importance relative de chacune de ces dix dimensions ?

Les auteurs de l’ouvrage CEO Excellence proposent de lister les pratiques véritablement efficaces : celles corrélées avec la réussite à long terme de l’organisation. Pour les déterminer, ils ont interviewé 65 des 200 meilleurs dirigeants du 21ème siècle tels que déterminés par des facteurs qui combinent des résultats prouvés sur longue période avec un équilibre des géographies, des secteurs et des profils individuels représentés.

Il s’agit donc d’une étude de fond menée auprès des meilleurs dirigeants mondiaux par trois senior partners de McKinsey avec une longue expérience de côtoyer des dirigeants et de réfléchir à l’art du management. Les résultats de ces entretiens sont combinés avec ceux de plusieurs recherches de fond du cabinet pour proposer 6 états d’esprit qui sont la marque de fabrique des meilleurs CEO. L’analyse vise d’abord les très grandes multinationales, mais une grande partie s’applique à n’importe quelle organisation. Il suffit d’adapter.

Chacun des 6 état d’esprit est sous-divisé en 3 dimensions et chaque point dimension est décomposée en 4 thèmes. L’ouvrage forme donc une checklist de 72 points présentée au sein d’un texte empli de réflexions et d’exemples. C’est très riche. Peut-être même trop !

Quels sont ces 6 états d’esprit ? Les voici  en langue originale :

  • Direction setting: be bold
  • Organization alignment: treat the soft stuff as the hard stuff
  • Mobilizing leaders: solve for the team’s psychology
  • Board engagement: help directors help the business
  • Stakeholder connection: start with why
  • Personal effectiveness: do what only you can do

Cela paraît évident ? Pas tant que cela. D’abord parce que chacune de ces dimensions se décompose en dizaine voire centaines d’actions extrêmement granulaires. Prendre le temps de tout faire est une gageure. Ensuite parce que ce sont des dimensions que j’ai fréquemment vu des CEO ignorer. Ils étaient trop pris par le quotidien pour s’atteler à ces sujets souvent complexes. Enfin parce que les auteurs écrivent parfois que les meilleurs dirigeants choisissent certaines dimensions où exceller et parfois qu’il convient de parvenir à équilibrer tous les sujets à la fois, à la manière d’un tourneur d’assiettes au sein d’un cirque. Alors, faut-il se concentrer ou faut-il tout faire à la fois ? Pas évident… Et vous, avec combien de dimensions parvenez-vous à jongler ?

Pour aller plus loin quant aux 18 thèmes divisés en 72 points et découvrir d’innombrables conseils, anecdotes et exemples, lisez CEO Excellence. Que vous soyez CEO ou non, c’est un condensé d’intelligence pour quelques euros. Un rare rapport qualité prix…

Bonne lecture !

PS : Ceux qui me connaissent se doutent que j’en ai profité pour écrire un synthèse sous forme de checklist. Elle comprend 116 éléments et diffère en partie des 72 points originaux. Elle pourrait être la première étape d’une “CEO checklist” plus large à laquelle ajouter les synthèses de From Good to Great, the A methode for hiring et The Hard Thing about Hard Thing. Si cela vous dit de faire bêta-lecteur, inscrivez-vous sur ce site et envoyez un message à l’adresse de contact.


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Remarque sur l’ouvrage

L’ouvrage CEO Excellence est un condensé d’intelligence agréable à lire et empli d’excellents conseils. Qu’une telle somme de travail soit accessible à tous en librairie pour si peu cher fait partie des miracles de notre monde moderne ouvert. Prenons un moment pour remercier les auteurs et tout ce qui rend possible ce partage d’information.

Malgré l’approche scientifique des auteurs, il comprend des biais. Les avoir en tête est utile pour transposer. Tous les lecteurs ne dirigent pas de grandes organisations internationales !

Voici quelques-uns des biais de l’étude :

Le biais du survivant. Les CEOs interviewés dirigent tous des compagnies en bonne santé financière. C’est un des signes de leur compétence et cela fait partie des critères de sélection des auteurs. Cela signifie aussi que ces compagnies disposent de bons produits, de clients fidèles, d’équipes commerciales efficaces et d’un modèle économique rentable. Il est donc probable que l’ouvrage passe sous silence certaines dimensions majeures par ailleurs : elles sont considérées comme acquises.

La taille. Les dirigeants considérés dirigent de très grandes sociétés sur de multiples activités et de multiples géographies. Certains sujets mentionnés, notamment de stratégie et d’allocation de ressources, relèvent de la Corporate strategy plus que de la Business Unit strategy. Bref, si vous dirigez des sociétés plus petites, attention en transposant.

Les recherches de McKinsey. Les auteurs affirment que le contenu de l’ouvrage provient des entretiens. Ce n’est qu’en partie vrai. Ici et là, on voit apparaître des paragraphes qui relatent une sélection des recherches majeures du cabinet sur les dernières décennies. Par exemple lorsqu’il s’agit de réallocation de ressources, de relation avec le Conseil d’Administration ou de mettre de la science dans la gestion du “soft stuff” comme l’organisation et la culture.   

La compétence et bénévolence du conseil d’administration. L’ouvrage consacre trois chapitres sur dix-huit au sujet de la relation du CEO avec son conseil d’administration. C’est un sujet majeur pour les grandes sociétés cotées et pour les dirigeants qui ont la chance de disposer d’un conseil formé de personnes compétentes qui ont la volonté de s’engager dans la discussion. C’est loin d’être une évidence. Si les critères précédents ne sont pas remplis, le lecteur devra se résoudre à conserver un dialogue de faible qualité avec cet organe important.

La perspective américaine. Les auteurs ont tenté d’équilibrer les points de vue en interviewant quelques dirigeants de tous les pays du monde. Ils offrent donc une analyse plus globale que bien d’autres ouvrages sur ces sujets. Merci et bravo ! Pour autant, le livre traite principalement de sociétés américaines et est signé par trois… américains.

Ces biais posent-ils problème ? Non ! Le contenu est passionnant et d’une rare qualité. Mais le travail du lecteur est de transposer à son contexte pour en tirer le meilleur. Et pour effectuer ce travail de transposition, connaître et comprendre ces biais participe à trier les informations utiles pour soi et adapter ce qui frappe notre mémoire en suggestions d’action utiles pour nous.

Bonnes transpositions !