En synthèse
Les auteurs savent de quoi ils parlent. Sandrine Zerbib s’est installée à Shanghai en 1994 et Aldo Spaanjaars est arrivé à Pékin en 1995. La première pour diriger les activités d’Adidas et le second pour créer le bureau local d’une agence publicitaire américaine. Ils ont donc vu la Chine passer en trois décennies du 19ème au 21ème siècle selon peurs propres mots. Ils ont aussi vu de nombreuses compagnies internationales tenter l’aventure chinoise. Echouer souvent, mais aussi réussir parfois.
Curatus est une initiative pour faire lire aux professionnels plus d’ouvrages… professionnels. Lisez le manifeste. C’est aussi une sélection d’excellents livres pros regroupés au sein du Guide Curatus et une dizaine d’autres ouvrages édités (la liste ici).
Ils retiennent de leur expérience les maîtres mots pour bénéficier d’un monde en mutation accélérée : flexibilité, réactivité, rapidité, agilité, ténacité et soif d’apprendre. Et ils retiennent la vénération pour les loups, animal perçu plus positivement en Chine que dans le monde occidental, notamment pour leur sens de l’opportunité, leur loyauté à la meute et leur obstination. La culture du loup est le véritable sujet du livre. Dans l’entreprise cela se manifeste selon les auteurs par
- Une implication sans réserve dans son travail
- Une obstination à atteindre l’objectif et à ne jamais abandonner
- La perception de la concurrence comme l’ « ennemi » à vaincre
- La priorité donnée à l’équipe sur l’individu
- Un système de rémunérations qui reflète les efforts partagés
Ils retiennent aussi que les raisons évoquées pour les échecs des entreprises internationales dans l’empire du milieu sont souvent un peu courtes. Certes, la compétition est intense, le cadre réglementaire est flou, il existe de fortes différences culturelles et certaines procédures de décision sont lentes. Pourtant, des succès éclatants existent aussi. Les facteurs de succès selon les auteurs incluent
- En Chine, pour la Chine (faire de la Chine le second moteur de son entreprise, et pas un pays comme les autres traité depuis l’étranger)
- S’adapter ç la demande locale (définir son offre de produit pour les clients chinois, et pas tenter d’imposer ce qui se vend ailleurs)
- Echelle, vitesse et flexibilité (laisser une équipe locale prendre des décisions locales rapidement, et pas tenter de tout contrôler depuis un siège éloigné)
- Conserver et exploiter ses atouts internationaux (tirer de ses capacités internationales un avantage compétitif)
Les titres des chapitres choisis par les auteurs pour décrire la « culture du loup » (le vrai sujet du livre) interpelle : (i) la faim enseigne les leçons vitales, (ii) S’adapter ou mourir, (iii) L’empereur décide, mais l’agilité règne, (iv) les gens ne font que passer, qui convient reste plus longtemps et (v) tout commence par la data. Le dernier chapitre, très technologique, s’écarte du thème du loup, mais pourra intéresser.
Quelques différences marquantes avec l’occident
Certains points m’ont intéressé parce qu’un auteur ne les aurait probablement pas écrit au sujet de sociétés européennes ou américaines. Voici une sélection.
« Le seul moment où une entreprise chinoise prend le soin d’élaborer un plan à cinq ans, c’est avant son entrée en Bourse ou son rachat par une firme occidentale. »
« La compétition interne est encouragée. Les entreprises chinoises utilisent volontiers la concurrence interne entre les équipes pour décider de la voie à suivre. […] Il n’est pas rare de mettre les salariés nouvellement embauchés en concurrence afin de décider du meilleur choix pour l’entreprise. » « La pratique est pleinement acceptée et très répandue. »
« Tous les coups sont permis. […] La concurrence est plus intense et le cadre réglementaire flou. »
« Sur un marché qui exige flexibilité, rapidité et innovation permanente, faut-il vraiment se retenir de dépenser deux fois plus de ressources que prévu à court terme, si c’est le moyen de doubler ses chances de battre la concurrence externe ? »
« Une confiance excessive dans l’autorité du droit se conjugue […] à une différente compréhension de la loyauté » pour entraîner l’échec de Joint Ventures du fait de l’opposition entre la « vision légale et contractuelle des occidentaux et la vision de meute unie des chinois. »
« La perception du risque […] est sous-tendue par la confiance en l’avenir. Après trois décennies d’expansion économique, de progrès du niveau de vie et de la richesse individuelle – et même de la place de la Chine dans divers classements [les entrepreneurs chinois] sont portés vers l’optimisme. »
« Accepter les sacrifices dans la perspective d’un avenir meilleur est devenu la norme. Motivés par une soif de promotion sociale, beaucoup de Chinois – entrepreneurs ou salariés – acceptent de renoncer à leur vie personnelle au profit d’une future prospérité. »
« Les dirigeants gèrent leur entreprise à l’exemple de parents ou d’anciens régissant la famille. »
« Considérez la Chine comme le modèle qui préfigure l’arène à venir de la concurrence mondiale. »
Ces facteurs de succès resteront-ils vrais ?
Les auteurs notent que les entrepreneurs iconiques chinois comme Reng Zhengfei (le fondateur de Huawei) ont connu la Chine d’avant les années 1990. Reng Zhengfei a créé Huawei à 44 ans et après une expérience d’ingénieur militaire qui lui a inculqué des profondes valeurs de travail et d’abnégation. Jack Ma, le fondateur d’Alibaba, fait volontiers l’apologie du 996 (travailler de neuf heures du matin à neuf heures du soir six jours par semaine). Pour autant, les auteurs notent que « Les nouvelles générations n’ont pas traversé les mêmes épreuves que leurs parents et grands-parents et sont moins disposées à tout sacrifier au travail ».
« Les entrepreneurs chinois vont devoir admettre que toutes les tactiques du dragon ne sont pas transférables ». Les auteurs notent que ce qui a fait le succès de certaines compagnies chinoises en Chine pourrait les desservir hors de Chine.
Note : le livre contient également un grand nombre de case studies que je mentionne pas ici. Si certaines peuvent paraître discutables on si certains enseignements ne sont peut-être pas spécifiques à la Chine, les exemples présentés sont intéressants, pertinents, originaux, souvent directement liés à l’expérience des auteurs. Ces exemples sont aussi l’occasion de repérer des noms connus en Chine, mais pas toujours ailleurs. A côté des BAT (Badu, Alibaba, Tencent) souvent connus, les auteurs mentionnent les étoiles montantes de l’intelligence artificielle : SenseTime et Megvii. Les connaissiez-vous ? Plus d’information dans le livre !
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