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Les règles du jeu professionnel

«All the world’s a stage,
And all the men and women merely players;
They have their exits and their entrances;
And one man in his time plays many parts,
His acts being seven ages. »
William Shakespeare

William Shakespeare compte sept phases dans la vie d’un homme. Bonne nouvelle : la vie professionnelle en compte au moins huit, et même neuf si on compte le tutoriel. Seconde bonne nouvelle : ces étapes dépassent le cadre professionnel et s’appliquent sur bien d’autres terrains de jeu.

Mauvaise nouvelle cependant : beaucoup d’entre nous restent cantonnés aux premiers épisodes du jeu. Parfois, nous ne dépassons même pas le premier ! Si vous lisez ceci, c’est probablement que vous pensez que c’est dommage. Comment accéder aux épisodes suivants ? Qu’y a-t-il à découvrir ?

Voici une tentative de segmentation des rôles du jeu professionnel. Elles ont été définies par Steven Kaven. Par esprit de simplification, les marches de l’escalier portent son nom accompagné d’un numéro. Les nommer avec précision aurait fait perdre une partie de leur universalité. Après tout, il y a d’innombrables jeux !

Parcourez-les Kaven 0 à 8 avec quelques questions en tête : quel rôle jouez-vous dans votre vie professionnelle ? Et dans votre vie extra-professionnelle ? Quelle est votre prochaine marche ? Vos engagement associatifs, artistiques, familiaux et personnels peuvent vous amener à tenir dans chaque jeu un rôle différent.

Kaven 0 – C’est le premier rôle, celui d’exécutant. Nous l’avons appelé le tutoriel. On vous demande d’abord d’être fiable. Mais aussi d’être au rendez-vous sur un ensemble d’attendus loin d’être tous évidents. Collectivement, ils forment un socle solide pour construire la suite. Le stagiaire nouvellement arrivé ou l’apprentie commencent par définition à ce niveau Kaven 0.

Mais ce n’est pas une question d’âge ! Il s’applique à tout nouvel arrivant ! Pensez aux novices d’une loge maçonnique auxquels on demande la première année d’assister en silence aux tenues. Ils ont plus souvent cinquante ans que vingt ; il n’y a pas d’âge pour le tutoriel.

Kaven 1 – C’est le rôle le plus fréquent, car il est permanent. Tout le monde l’a sur quelque chose. Il s’agit d’être responsable d’une action un d’un ensemble d’actions. Le consultant senior d’un cabinet de conseil, le responsable de ceci ou de cela dans un grand groupe, la personne qui tient la caisse à la boulangerie, l’électricien qui installe un tableau électrique, la comptable qui fait les comptes… Toute personne qui réalise un métier avec l’objectif de produire un résultat de qualité est dans ce rôle de chef de projet (mais attention, pas de chef d’équipe ! Cela viendra à l’épisode Kaven 3).

Nous nous focaliserons ensemble sur un univers professionnel de bureau ; mais la majorité des points reste valable même quand vous faites les grillades lors d’une réunion familiale par une belle après-midi d’été. Vous êtes alors… responsable barbecue !

Kaven 2 – C’est le rôle des experts, des professeurs et des conférenciers. Ce peut être un rôle à temps plein : le spécialiste au sein d’une entreprise ou d’un cabinet de conseil, le chercheur universitaire, l’écrivain de livres professionnels. Ce peut être un rôle à temps partiel : l’avocat qui donne des cours en parallèle de ses activités, le boulanger qui fait une intervention au centre de formation local, l’adolescent qui produit une vidéo YouTube sur son sujet de prédilection.

Nous avons même ce rôle en miniature de manière éphémère plusieurs fois par jour : chaque fois qu’on nous demande conseil. Le meilleur restaurant de la ville ? Un livre à lire sur la plage ? Une bonne série télévisée à regarder ? Cela peut être du niveau Kaven 2 si nous connaissons le sujet en profondeur.

Si vous ne connaissez que deux restaurants en ville, admettons-le : vous n’êtes pas un expert. C’est une discussion personnelle qui sort du cadre de cette échelle Kaven. Si en revanche vous habitez la ville depuis dix ans et que vous avez testé l’écrasante majorité, cela peut faire de vous un expert niveau Kaven 2… sur ce sujet !

Kaven 3 – C’est le rôle de responsable d’équipe. Vous êtes, par exemple, le chef hiérarchique de deux à douze personnes. Vous organisez le travail, décidez d’emploi du temps de l’équipe, participez à leur développement. Bref, c’est votre équipe !

Beaucoup affirment que c’est le meilleur rôle : mener un petit groupe humain vers un but commun clairement identifié est une satisfaction au quotidien. C’est en effet un rôle très riche d’interactions sociales et en général clair quant aux objectifs qu’il remplit. C’est aussi un art humain difficile et exigeant.

Les individus sur la marche Kaven 3 sont facilement identifiables dans les sociétés organisées : ils ont des équipes visibles sur l’organigramme ! Dans les cabinets de conseil, ce sont les responsables de projet : ils organisent une petite équipe au quotidien, mais sont sous la supervision d’un management senior.

Mais ce rôle dépasse le monde du bureau. Un restaurateur qui gère son équipe est dans une situation Kaven 3. De même pour un boulanger (une boulangerie emploie plus de monde qu’on ne le croit), un capitaine ou entraineur d’équipe sportive, un metteur en scène de troupe de théâtre… voire une professeure des écoles. Elle a peut-être vingt-cinq élèves plutôt que sept subordonnés, et ils sont très jeunes. Mais c’est proche d’un rôle Kaven 3.

En fait, chaque fois qu’un groupe de personnes compte sur vous pour organiser le travail afin d’atteindre un objectif, vous êtes dans ce rôle.

Kaven 4 – C’est un rôle de chef d’équipes. Notez le pluriel à « équipes » ; c’est le point le plus important. Toutd’un coup, il y a plus de monde. La différence principale avec Kaven 3 est que les personnes qui vous appellent « chef » sont elles-mêmes chefs d’équipe dans un rôle de Kaven 3. Et cela change tout !

C’est une des transitions les plus difficiles. Il faut couvrir plusieurs équipes et donc plus de sujets. L’enjeu est d’être présent au quotidien sans empiéter sur ses relais managériaux. Le point d’équilibre est subtil. Et surtout : c’est le moment où ce qui a fait votre succès jusqu’ici va probablement vous desservir.

On repère facilement sur un organigramme ceux qui ont ce rôle : ce sont des « n+2 ». C’est-à-dire des personnes qui ont deux niveaux hiérarchiques sous elles. C’est le rôle des « senior managers » de cabinets de conseil (ils gèrent plusieurs chefs d’équipe), de la responsable « cours de ski» d’un centre UCPA (elle chapeaute plusieurs professeurs de ski qui ont chacun une classe) ou du gérant d’une petite chaîne de librairies. S’il avait une seule librairie, le rôle serait Kaven 3 ; dès qu’il en possède plusieurs, il ne peut plus être partout, il a des chefs de librairies qui gèrent au quotidien et sont perçus comme « le chef » par leurs propres équipes. son rôle est dans l’influence plus que dans l’exécution : c’est tout le sujet de l’épisode Kaven 4.

Kaven 5 – C’est le rôle de membre de comité exécutif. Il s’agit d’être un contributeur utile à une équipe dirigeante, de donner un visage à l’organisation en externe, de porter la mission de la maison en interne, etc. Le rôle est de plus en plus tourné vers la représentation et la communication. Même s’il faut évidemment continuer à être excellent sur l’exécution. Réaliser vite et bien est à présent un acquis, ce qu’on vous demande va plus loin !

Pour parler business franglais, c’est un rôle de CXO : Chief Marketing Officer, Chief Financial Officer, Chief Sales Officer, Chief Technology Officer, etc. Mais quand mon père va voir le maire de la ville au nom de l’association des riverains de son quartier pour discuter d’installer des signalisations spéciales aux carrefours dangereux pour la circulation… Il est aussi dans ce rôle de Kaven 5 : il représente à l’extérieur le comité de direction d’une organisation.

Participez-vous à gérer un club de judo (ou de toute autre activité !) ? Êtes-vous responsable de site pour une colonie de vacances ? Faîtes-vous partie du conseil syndical de votre immeuble ? Tout ceci est dans l’ensemble du Kaven 5.

Kaven 6 – C’est le rôle de la Directrice Générale, du grand chef, de la personne qui est le visage de l’organisation. C’est un rôle très visible et, en général, nous savons facilement si nous l’avons et qui l’a si nous ne l’avons pas. Ce rôle n’est pas limité aux Président Directeur Général (PDG) et autres Chief Executive Officer (CEO) pour utiliser le terme anglo-saxon. Le maire d’une ville, le dirigeant d’une association, le Grand Schtroumpf ou la directrice d’une école jouent tous un rôle Kaven 6.

C’est un rôle complexe et multi-facette dont les règles sont moins évidentes que la plupart des autres marches Kaven. Il y a plusieurs manières d’être un bon leader d’organisation. Et ces manières sont très différentes selon la culture de l’organisation, son contexte et le style de l’individu.

Un bon chef d’équipe reste un bon chef d’équipe presque partout : le niveau Kaven 3 s’exporte bien. Il est moins sûr qu’un excellent Kaven 6 formé dans l’armée fasse un excellent dirigeant de parc d’attraction pour adolescents… Et l’inverse encore moins !

Même si on peut imaginer des contre-exemples, le rôle Kaven 6 est un des plus insaisissables. Il y a évidemment des pièges à éviter et des mauvaises pratiques ; mais il y a surtout une large palette de style qui permettent d’atteindre l’excellence.

Kaven 7 – C’est le rôle de membre du conseil.  Il s’agit de partager de l’expérience, des avis éclairés, ses contacts, et décider parfois mais sans prendre trop de place… C’est un rôle qui est très facile à faire mal et très difficile à faire bien.

L’exemple professionnel le plus évident est le conseil d’administration d’une grande entreprise. Il rassemble des personnes compétentes avec une longue expérience qui auront la lourde tâche d’aider l’équipe dirigeante à réfléchir aux orientations importantes. Accessoirement, ils représentent les actionnaires, mais ce n’est pas ce qui leur donne ce rôle Kaven 7.

Nul besoin d’être administrateur d’entreprise cotée pour être dans ce rôle ! Avez-vous participé à la réunion annuelle des copropriétaires d’un petit immeuble ? Vous êtes de fait le conseil d’administration de l’immeuble ! Organisez-vous un soir une discussion un peu formelle avec votre fille de dernière année de lycée qui se demande où poursuivre ses études ? Vous êtes de fait son conseil d’administration : elle choisira ; mais vous offrez expérience, contacts, avis et l’espace de quelques heures un moment privilégié pour réfléchir.

C’est donc le rôle Kaven 2 (expert) poussé plus loin avec une responsabilité perçue plus forte dans le temps. Le médecin que vous consultez est dans un rôle Kaven 2 ; le médecin de famille qui vous suit depuis trente ans et a même connu vos parents est un rôle Kaven 7. Et s’il ne l’est pas… changez-en ! 😉

Kaven 8 – C’est le rôle de celui qui n’a de compte à rendre à personne. Notamment les philanthropes, c’est-à-dire ceux pour qui l’argent n’est plus un sujet et qui agissent pour modifier le monde autour d’eux.

Tous les rôles précédents ont une hiérarchie. Les médecins dépendent d’un ordre, les boulangers sont très encadrés, et même les dirigeants peuvent être remerciés à tout moment, sauf à être actionnaires majoritaires de leur société. Au fond, qui n’a pas de supérieur hiérarchique ?

Ce rôle est celui de Bernard Arnault quand il dirige la fondation Louis Vuitton, de Bill Gates quand il se prend à vouloir éradiquer des maladies dans le monde ou de Jeff Bezos qui passe la main d’Amazon pour se consacrer à d’autres projets. Ils prennent pour objectif d’influencer le monde à large échelle et, tant qu’ils respectent les lois, ils prennent leurs propres décisions.

Faut-il être milliardaire pour être philanthrope ? Heureusement non. Tout est affaire d’échelle. Quand vous faites le siège de la mairie pour vous prêter le parc avoisinant pour organiser un piquenique musical, c’est en fait du Kaven 8 : une activité pour le bien commun que personne ne peut vous empêcher de faire et qui influence le monde alentour. Il s’agit de pousser une idée et de la transformer en action.

Les rôles de lobby et d’influenceurs, bien faits, sont du Kaven 8. Et quand il s’agira de réaliser, vous pourrez décider de prendre un des nombreux autres à disposition.

Il existe évidemment plus de nuances que cela. Le monde ne se numérote pas de zéro à huit. Heureusement ! Il manque probablement de nombreuses entrées à la liste. Pourquoi ne pas ajouter le rôle d’entrepreneur ? C’est-à-dire le rôle des fondateurs de startup ou d’entreprise. Est-ce un Kaven 6 ou un rôle à part ? Je ne sais pas encore : Steven Kaven a écrit et détaillé les rôles 0 à 5. Pas encore au-delà. Il les ajoutera peut-être un jour.

Un même univers peut nous donner accès à plusieurs rôles. Un boulanger est-il responsable d’équipe (Kaven 3), expert du pain (Kaven 2) ou directeur général (Kaven 6) de sa boulangerie ? Probablement un peu des trois ! Il est même responsable de projet (Kaven 1) sur certains sujets et peut-être membre du conseil des commerçants du quartier (Kaven 7)…

Nous pouvons ainsi occuper différents rôles dans différents univers. On peut être chef d’équipe au travail, exécutant dans une organisation caritative le week-end et avoir un rôle proche de celui d’un membre de Comité Exécutif dans une association sportive locale. Après tout, ce ne sont que des rôles !

Notons que Steven Kaven n’a rien inventé. Tous les cabinets de conseil et d’audit du monde ou presque sont hiérarchisé au travers de l’échelle de rôles suivante : junior, senior, expert, manager, senior manager, partner, senior partner. Les appellations varient, mais l’échelle reste la même. Ce sont exactement les épisodes Kaven 0 à 6.

Les grandes entreprises ont souvent des rôles de chef de projet, spécialiste, chef d’équipe, directeur d’équipes, membre du comité de direction, directrice générale et membre du conseil. C’est une autre manière de nommer les Kaven 1 à 7.

Nous pourrions pousser plus loin avec la couleur des ceintures pour les arts martiaux, les galops en équitation, les niveaux de voile à l’école des Glénans et bien d’autres échelles. La transposition est plus lointaine, mais pas impossible.

En synthèse : ces règles du jeu s’appliquent aussi en dehors du terrain professionnel. C’est même probablement là qu’elles vous seront le plus bénéfiques.

Alors bonne lecture, et bonnes transpositions, et tirez le meilleur de cette série ! C’est pour vous.

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