« Comment intégrer l’intelligence artificielle à l’éducation de mes enfants ? » est une question que je ne me pose pas encore. C’est un peu tôt : j’emmène chaque matin mes deux filles à l’école maternelle. L’IA ne fait pas encore ni coloriages ni collages. Cependant, je me poserai très certainement bientôt cette question majeure. Et ce jour-là, je serai heureux de compter sur les suggestions de Boris Walbaum pour aider mes choix.

Faudra-t-il par exemple les pousser à apprendre les langues étrangères alors qu’elles vivront avec la capacité de traduire instantanément presque tous les contenus dans un idiome qu’elles maîtrisent ? Quel intérêt de passer de longues heures à rédiger quand la machine le réalise en quelques secondes ? Faut-il ou non apprendre à coder ?

On pourrait objecter qu’étudier les langues est toujours intéressant et que savoir écrire fait partie des compétences de base à maîtriser. Après tout, la voiture autonome n’a pas fait disparaître les chauffeurs routiers – contrairement à ce qu’on a beaucoup lu dans les années 2010 – et bien des humanités ont prouvé leur atemporalité. C’est probablement juste, mais c’est aussi une réponse de premier niveau focalisée sur les sujets qui viennent immédiatement à l’esprit. Comme on ne sait pas ce qu’on ne sait pas, on peut avoir envire d’aller plus loin.

C’est justement ce que Boris Walbaum propose dans l’ouvrage EDUCATION.IA publié en mai 2025 : une réflexion réfléchie et approfondie. Et ses suggestions m’intéressent d’autant plus qu’il évolue dans le milieu éducatif (Boris a notamment fondé l’association Article 1 qui aide des milliers d’étudiants à accéder et réussir dans l’enseignement supérieur), que je le connais assez pour le savoir pertinent et que ses enfants sont un peu plus âgés que mes filles.

Alors, que proposer pour l’éducation en 2025 ? Beaucoup d’idées dans le livre. Voici ce que j’en retiens.

Note : Cet article n’est pas une synthèse du livre. C’est ce que j’ai choisi d’en retenir après lecture. C’est donc une sélection personnelle au travers d’un contenu bien plus riche. Par ailleurs Curatus est une initiative pour promouvoir les excellents ouvrages professionnels et une maison d’édition qui publie un guide des livres business.

L’importance d’une boussole

L’auteur note au cours du premier chapitre « Dépourvu de boussole éthique, politique et pédagogique, notre système éducatif semble orphelin d’un projet ». Si le jugement peut sembler dur quant au système, j’en prends bonne note pour mon cadre familial. Comme souvent, il faut d’abord définir un cap avant de pour pouvoir mettre les outils – en l’occurrence l’IA – à son service. Sinon, on risque de se découvrir trop tard aliéné par la machine. Parce que, comme Boris le note au chapitre suivant : « Penser, comme pousser une charrue, est un effort ». Et parce que « Le risque que l’IA nous libère de la charge de la pensée est réel ».

Mais cessons de nous faire peur ! Les discours anxiogènes quant à la technologie sont légion et pas forcément l’objet du livre. Passons aux suggestions actionnables.

Le rôle du tuteur

L’auteur consacre une section à ce titre : « L’IA, un tuteur patient et personnalisé, disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre ». Prenez le temps de relire la formule : un tuteur patient et personnalisé, disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Voici un point de rupture majeur. Notre éducation actuelle a été prévue pour la masse. La salle de classe telle que nous la connaissons date dans l’ensemble du 19ème siècle et il est courant de remarquer que son modèle a peu évolué en 150 ans. Avant, les élites éduquaient leurs enfants au travers de précepteurs. Et la masse n’était quant à elle en fait pas éduquée. L’IA – bien utilisée – représente peut-être la démocratisation du précepteur.

Par exemple, elle est capable d’expliquer un concept de plusieurs manières différentes avec une patience infinie. Elle peut donc s’adapter aux préférences cognitives de l’élève. Si l’on n’a pas compris, on peut lui poser toutes les questions sans peur du jugement. Si l’on souhaite aller plus loin, elle peut ouvrir des portes. Si l’on préfère les explications imagées, on peut lui demander de réexpliquer en utilisant des comparaisons.

Encore faut-il bien l’utiliser. C’est-à-dire lui demander d’accompagner, pas de faire. Et de maintenir les enfants dans leur « zone proximale de développement, cet espace de stimulation où un exercice est suffisamment difficile pour susciter leur attention et pas assez pour être décourageant ». Pas évident, mais pas impossible.

Les compétences de demain

À quoi préparer des enfants actuellement en maternelle pour anticiper le monde du travail vingt ans plus tard dans un environnement qui évolue très vite ? La question mérite d’être posée et n’appelle pas de réponse certaine. Voici la réponse de l’auteur : 1. À la capacité critique. 2. Aux compétences sociales et émotionnelles. 3. À la créativité divergente. 4. À l’éthique appliquée. 5. À la collaboration et l’intelligence collective.

Boris Walbaum suggère aussi de développer toute la palette de l’intelligence. La machine écrit à présent mieux que la plupart d’entre nous ? Elle traduit sans faille ? Elle crée des images plus vite ? Certes, mais ce n’est après tout qu’une continuité. La machine reproduit depuis longtemps des sons en haute-fidélité sans que cela n’empêche l’auteur de jouer du piano. Elle compte plus vite que nous, mais nous continuons de pratiquer le calcul mental. L’IA a relancé les échecs comme sport intellectuel plutôt qu’elle ne l’a enterré. Ses conséquences sont ainsi plus surprenantes qu’on pourrait l’imaginer. Une bonne préparation au champ des possibles pourrait consister dans le développement d’une large palette de ce que cache le mot intelligence. Notamment huit dimensions :

  1. L’intelligence logico-mathématique
  2. L’intelligence verbale-linguistique
  3. L’intelligence interpersonnelle
  4. L’intelligence intrapersonnelle (i.e. compréhension de soi-même)
  5. L’intelligence naturaliste (i.e. la nature et les écosystèmes environnementaux)
  6. L’intelligence corporelle-kinesthésique (donc le sport)
  7. L’intelligence musicale-rythmique
  8. L’intelligence visuelle-spatiale

L’esprit d’aventure

Afin d’utiliser la machine au mieux de ses capacités de tuteur et pour accompagner le développement d’un large éventail de compétences, l’auteur propose un principe fondateur : pointer la boussole vers l’esprit d’aventure. Chercher à explorer le monde et à comprendre. Voyager en immersion pour faire l’expérience de l’altérité et des diverses manières d’appréhender la vie (ce qui est peut-être le véritable apprentissage que l’on réalise au travers de l’acquisition d’une langue étrangère, bien plus que le remplacement d’un mot par un autre). Se heurter à l’épreuve comme source de développement pour avoir justement besoin d’un enseignant, mentor de l’aventure, afin de passer l’obstacle. Cet esprit d’aventure représente un moteur pour mettre l’IA au service de l’éducation.

Aussi, ses dernières recommandations aux parents – qui concluent chaque chapitre – vont dans ce sens et semblent donner un indice quant à l’âge de ses trois enfants : Encouragez les expériences hors cadre scolaire. Valorisez le voyage comme expérience formatrice. Soutenez la pédagogie par projet. Acceptez les erreurs comme étapes d’apprentissage. Stimulez leur curiosité et leur capacité à se projeter. Offrez-leur des moments pour échanger sur ce qu’ils ont vécu dans la semaine. Tout un programme !

3 conclusions

Celle de l’auteur d’abord. Boris rappelle dans les dernières pages trois axes de transformation. Développer l’ensemble des intelligences humaines pour disposer d’un solide bagage. S’appuyer sur les ressorts naturels de notre développement : inspiration, mimétisme, émulation. Enfin, « Inscrire l’apprentissage dans la forme naturelle qu’elle prend chez l’homme : la curiosité, l’exploration, l’expérience, bref, l’aventure. »

Une note importante ensuite en guise de seconde conclusion : je vous suggère de lire le livre. Il est plus riche que ce que cet article peut laisser penser. Notamment, il offre plusieurs niveaux de lecture. Si vous êtes enseignant, vous en ferez une lecture différente. Et si vous êtes cadre dirigeant de l’éducation nationale, l’essai peut presque se comprendre comme un programme politique au sens noble du terme. Ma lecture est celle d’un père qui pense à l’éducation de ses enfants encore jeune. Quelle sera la vôtre ?

Enfin, voici quelques suggestions de lectures additionnelles quant à l’IA. Pensez à Quand la machine apprend de Yann Le Cun pour l’histoire de ce domaine de recherche et en comprendre le fonctionnement. Lisez ensuite La fin de l’individu de Gaspard Koenig pour une réflexion de fond sur la portée politique de cette machine qui apprend. Ces deux ouvrages sont clairs, didactiques et proposés par des spécialistes de leur domaine respectif. Après, portez-vous sur le passionnant roman d’anticipation proposé par le chercheur-investisseur-auteur Kai-Fu Lee dans « AI 2041 » qu’il a co-écrit avec Chen Qiufan. Il s’agit d’une réflexion sur l’avenir de l’intelligence artificielle et son impact sur notre société avec trois caractéristiques : (i) c’est un recueil de nouvelles, (ii) toutes les technologies existent déjà, (iii) les histoires finissent bien (sauf une).

Une des nouvelles est même dédiée à l’éducation des jeunes enfants avec une IA qui sert…  de tuteur personnalisé. Exactement la proposition de Boris ; c’est dire comme les grands esprits se rencontrent !


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