Xavier Niel est tout à la fois un personnage public incontournable, un des rares milliardaires français récents partis de rien, un excellent exemple du Surhomme nietzschéen (on y reviendra) et un héros balzacien (selon son co-auteur). Pour toutes ces raisons… parcourir son autobiographie sous forme d’entretiens se révèle intéressant.
Derrière les propos, le roman qui se dessine passionne d’autant plus qu’elle semble avoir été relue par Anna Gavalda, que les auteurs remercient en dernière page. Un choix de conseillère à la rédaction aussi intéressant qu’intelligent et judicieux. En revanche, n’attendez ni recettes ni méthodologies applicables à d’autres situations. Ce n’est pas que Xavier Niel ne livre pas ses méthodes… c’est plutôt que la plupart d’entre nous serions bien en peine de les appliquer tant son parcours, selon ses propres mots, apparait invraisemblable.
Prenez donc le temps de lire ces entretiens avec Jean-Louis Missika. Ils éclairent notre époque, pourraient vous faire changer d’avis sur le personnage, se lisent vite et bien et semblent intellectuellement honnêtes.
Qu’en retenir ? Voici une sélection de notes et d’extraits très personnels. Lisez le livre et forgez-vous une opinion !
L’entrepreneuriat
Parents d’enfants introvertis… ne désespérez pas ! « J’étais super timide. Ma sœur avait des copines qui venaient à la maison mais moi, j’ai jamais eu de copains qui venaient à la maison. […] J’étais plutôt solitaire, introverti, mal à l’aise en public, pas bien dans la peau. »
On trouve du travail et du temps derrière le succès. Jean-Louis Missika a réalisé son premier livre d’entretien en 1981 (43 ans avant cet ouvrage) et Xavier Niel gagnait déjà sa vie à 19 ans. On ne devient pas milliardaire jeune sans commencer… tôt.
Tôt, cela peut être très tôt. « En 1987, je rachète ma première boîte en dépôt de bilan. C’est une boîte de 500 salariés qui s’appelle AZ Télématique et qui gère mes services Minitel d’NRJ et du Paris-Dakar ». Faites le calcul… Il a 20 ans.
L’optimisme coûte…. « Je suis une catastrophe ambulante en matière de prévisions, parce que je suis trop optimiste. »
…mais l’optimisme est la marque des entrepreneurs… « L’optimisme. Je pense toujours que demain sera meilleur qu’aujourd’hui. D’ailleurs ce n’est pas « je pense » mais « je suis sûr ». Demain sera meilleur qu’aujourd’hui. » « J’ai un cerveau qui gomme systématiquement les choses négatives, même les pires moments que j’ai pu vivre. »
… et la folie aussi. « J’aime les entrepreneurs parce qu’ils sont différents, parce qu’ils ont un petit grain, parce que je me fais pas chier avec eux. Les gens me voient comme un milliardaire, mais moi, je me vois comme un entrepreneur. »
L’expérience construit l’intuition. « Les gens me demandent comment je réussis mes lancements. C’est tout bête : j’ai le souvenir de toutes ces expériences dans ma tête. Quand tu as lancé 800 produits et que tu t’es pris des centaines de gamelles, ça te donne un peu d’expérience. »
Certaines lois sont immuables. « C’est une vraie leçon : une innovation technologique est toujours tuée par une autre innovation. Et ça, c’est immuable. Toute innovation technologique sera un jour obsolète. »
Quelques principes de management
Recruter et déléguer. « C’est super facile : tu délègues ça à un gars génial. »
Réduire les équipes. « Tu sais, au moment de la conception, il ne faut pas être trop nombreux. Apple a créé l’iPhone avec une quinzaine de personnes. Pas plus. » « Pendant tout ce temps ; le service marketing chez Free est composé de deux personnes. Deux personnes ! »
Co-localiser les responsables. « Ils partagent le même bureau, ils sont assis l’un en face de l’autre. Si tu veux faire de bons produits, y a qu’avec une configuration comme ça que ça peut marcher. »
Aller vite. « Cette boîte n’existe que parce qu’on a pris des décisions hâtives ! La vie est trop courte pour passer huit mois à recruter quelqu’un. »
Incarner. « Un lien, c’est bien, mais faut l’incarner et le faire vivre. »
Résister à la pression. « Mais on s’en tape des formulaires CERFA ou je sais pas quoi ! Les remplis pas, c’est pas grave, ils t’enverront un courrier pour te le rappeler. L’important, c’est pas ça. L’important, c’est ce que tu es capable de créer. »
Se forger une carapace. « J’ai longtemps été trop sensible à ce que la presse écrivait sur moi. Mais aujourd’hui, comme disait Chirac, ça m’en touche une sans faire bouger l’autre. »
Respecter les clients. « Certains chefs d’entreprise voient le client comme un mouton qu’on peut tondre. Et certains politiques croient que la rente et le monopole, ça protège l’emploi. J’espère que ne tomberai jamais dans ce travers. Je pense qu’on peut faire une marge confortable tout en proposant au consommateur quelque chose d’honnête. Un truc qu’il considère comme une bonne affaire, où il n’y a pas d’embrouille. » « Si tu as de l’intelligence à vendre, tu trouveras un public. »
Allez dans le sens du client. « Si on veut attirer un public jeune, il faut s’adapter à son mode de consommation, pas l’empêcher. »
Faire le lien entre les marchés. « La contrefaçon, c’est nouveau en politique, mais ça fait des années que ça existe dans le luxe ou les médicaments. »
Différencier les marchés. « Non, chaque marché est complètement différent. » répond à la question « Vous appliquez la recette Free partout où vous allez ? »
La méthode Niel ?
Voir la vie comme un jeu. « Quand tu considères que ce que tu fais de tes journées, c’est un jeu, ça change tout. » « Tu ne t’es jamais demandé pourquoi un gamin dont on dit qu’il est incapable d’être attentif plus de quinze minutes à l’école peut passer douze heures d’affilée sur un jeu vidéo ? »
La méthode Xavier Niel ne saurait être suivie. « Le goût d’entreprendre ne se transmet pas ». « La probabilité de mon parcours était nulle. »
Et si on revenait au surhomme nietzschéen ?
Plusieurs points du texte m’ont rappelé ce personnage de Nietzsche qui crée sans trop se poser de questions et agit plus qu’il ne réfléchit. Une discussion pour un verre de vin ? Je renvoie chacun à ses lectures.
Libéral. « Mes convictions sont assez simples : je suis pour la liberté. »
Action plus que réflexion. « J’accepte cette image de quelqu’un avec une culture faible, parce que ça correspond à une forme de réalité. »
Naïveté. « Jai deux forces qui sont basées justement sur mon absence d’intelligence : la simplification des problèmes, et la naïveté. »
Ambition. « Tu me connais : je n’arrêterai que quand on aura créé le plus grand réseau d’écoles du monde. »
Terminons sur une note sociétale
« Comment on remet en route ce putain d’ascenseur social ? » forme de fait la première phrase du livre puisque c’est le titre du premier chapitre. Un choix forcément chargé de sens pour les auteurs.
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