Et si vous réinvitiez la géopolitique dans votre pensée économique ?

L’essai de l’investisseur français expatrié à Hong Kong David Baverez se révèle trop extrême et trop dérangeant pour être ignoré. Que pensez-vous des relations entre l’Asie et l’occident ? Votre vision ne serait-elle pas trop angélique et trop occidentale ? C’est tout l’objectif de ce livre que de partager une vision plus asiatique et… pas tout à fait angélique.

L’auteur défend l’idée qu’un cycle de Kondratieff de 30 ans débuté en 1989 s’est achevé en 2022. Ce cycle fut plutôt pacifique et créateur de richesse, à tel point que le monde est passé de bipolaire à multipolaire et que plusieurs milliards de personnes ont fait leur entrée sur la scène internationale. Selon l’auteur, la fin du cycle est marquée en 2022 par un double événement : l’invasion de l’Ukraine par la Russie et le XXe congrès du parti communiste chinois (celui où Xi Jinping devient de fait président à vie).


Curatus est une initiative pour faire lire aux professionnels plus d’ouvrages… professionnels. Lisez le manifeste. C’est aussi une sélection d’excellents livres pros regroupés au sein du Guide Curatus et une dizaine d’autres ouvrages édités (la liste ici). D’habitude, Curatus privilégie les ouvrages atemporels plutôt que ceux portés par l’actualité. Celui-ci nous a semblé interpeler suffisamment pour le mentionner.


David Baverez ne prédit pas la guerre, mais l’économie de guerre ; c’est-à-dire le passage de la confiance à la méfiance comme fondement des relations internationales. Et même si le propos s’avère plutôt pessimiste, l’auteur nous y souhaite la bienvenue car tout changement de paradigme rebat les cartes et implique des gagnants parmi celles et ceux qui sauront jouer avec les nouvelles règles. Comment ? Déjà en intégrant le retour en force de la géopolitique dans l’économie et le besoin de marier les deux champs de réflexion pour naviguer le monde qui vient.

L’intérêt du propos tient d’abord dans une vision de l’occident par le prisme de l’Asie. Résident à Hong Kong depuis plus de dix ans, David Baverez conte aux lecteurs comment les Chinois perçoivent l’Europe et les Etats-Unis, les narratifs qu’on y emploie, les impacts attendus par les asiatiques et comment les européens sont parfois perçus comme naïfs. L’intérêt du propos tient aussi dans sa virulence. Le livre ne mâche pas ses mots et le ton se veut direct au risque de choquer voire de passer pour un brûlot aux yeux de certains lecteurs. Enfin, l’intérêt du propos tient dans une précision quant aux faits et une forme de lucidité, surtout dans la première partie de l’ouvrage, qui renforcent la crédibilité du tout. Loin de tenter d’affirmer des vérités définitives, l’auteur termine la première partie par ces mots : « Mieux vaudrait sans doute parier sur le fait que l’ère qui s’ouvre, loin d’une ligne droite, nous réservera quelques surprises ».

Aussi, l’ouvrage frappe l’esprit. Tous les lecteurs ne tomberont pas d’accord avec l’auteur, loin de là. Et la seconde partie convainc moins que la première. Pour autant, le contenu est trop dérangeant pour être ignoré.

Prenez donc le temps d’écouter les messages que David Baverez tente de faire passer ! Et si le sujet vous passionne, complétez cette lecture avec Dragon Tactics de Aldo Spaanjaars et Sandrine Zerbib. Il complète très bien le propos.

PS : je place en Appendix quelques citations de l’ouvrage

Quels constats ?

L’auteur observe un ensemble de tendances concomitantes :

  • La volonté de désoccidentaliser la gouvernance mondiale, partager par la Russie, la Chine et l’Inde notamment
  • La dé-démocratisation, c’est-à-dire la baisse de la fascination de la démocratie par les sociétés qui ne le sont pas, poussée par l’effondrement moral des dirigeants et les inégalités sociales en occident
  • La dés-otanisation, grâce à la perception de plus en plus hostile des Etats-Unis par le monde non occidental.
  • La dé-dollarisation accélérée par la montée de Renminbi comme monnaie alternative au dollar dans les échanges internationaux
  • La Yemenisation de l’Europe, c’est-à-dire que l’Europe devient le lieu où les Etats-Unis et la Chine s’affront indirectement, comme c’est le cas pour le conflit russo-ukrainien

Lors de la crise du Covid-19, David Baverez voit dans la continuité de la politique zéro Covid plusieurs mois après que l’Europe et les Etats-Unis ont largement vacciné leur population une décision du gouvernement chinois de renoncer à la croissance plutôt que d’accepter la dépendance à la technologie occidentale. Il y voit le premier signe tangible que le gouvernement chinois a désormais opté pour une économie de guerre.

L’occident vue de l’Asie

« Chacun des deux camps [l’Amérique et la Chine] est prêt à livrer le combat puisqu’il est persuadé qu’il va l’emporter ; l’Amérique pense que le néo-lénino-marxisme du président Xi Jinping conduira la Chine au déclin économique et que sa démographie tout comme sa bulle immobilière amputeront son développement. De son côté, la Chine est persuadée que la suprématie du dollar finira par craquer à cause du surendettement croissant des Etats-Unis ; que le déclin démocratique tournera à la guerre civile ; et que le sentiment antiaméricain des pays non occidentaux s’opposera à une hégémonie militaire encore forte. »

« L’Asie, à l’aide de voix très écoutées comme celle de l’expert singapourien Kishore Mahbudani, développe la théorie fort populaire de l’inéluctable déclin de l’Occident. »

« A Hong Kong, les investisseurs peinent à comprendre comment les Européens tolèrent ce déclin, sans visiblement opposer trop de résistance. »

Quelles implications ?

« Nous entamons une séquence différente : celle d’une économie de guerre. Cela ne signifie pas que nous rentrons en guerre, mais que la solution aux quatre crises identifiées [énergétique, démocratique et sociale, dette, environnement] va devoir faire appel à des sacrifices d’une telle ampleur qu’ils créeront des tensions adverbes en les régions du globe. »

« En période de paix, l’indicateur clé est croissance du PNB, soit la richesse produite par un pays sur le territoire national ou à l’étranger, que le gouvernement s‘efforcera de répartir de la manière la plus équilibrée. En période de guerre, c’est le ratio de dépendance relative qui prime : comment le pays est-il dépendant du reste du monde ? Comment le reste du monde est-il dépendant du pays ? »

« L’Europe continuera d’apparaître comme la grande perdante de la partie qui se joue. »

« Ne désespérons pas pour autant, le génie humain a toujours su trouver des solutions. »

Que faire ?

« C’est durant ces périodes de guerre, avec les chamboulements sociaux qu’elles génèrent, que se font ou se défont d’immenses empires. Il est donc clé d’en comprendre les transferts de valeur, seul moyen de s’adapter à la nouvelle donne. »

« Seuls résisteront – voire prospéreront – ceux qui s’adapteront aux nouvelles exigences de Energie, Sécurité, Guerre ».

« Seul celui qui arrive à produire prospère. Nous allons redécouvrir l’importance de la fonction production, dévalorisée lors du cycle dernier. »

« C’est donc en fusionnant mondes géopolitique et économique qu’une nouvelle discipline doit de se développer, seule manière d’anticiper les futures évolutions de ce nouveau cycle. »


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