Au départ, c’était une idée développée pour Adrian Dearnell. Nous réfléchissions aux meilleures manières de réaliser une formation sur l’art délicat du PowerPoint. Le sujet est plus complexe qu’il n’y parait et plus sulfureux qu’on ne pourrait le penser. L’outil est certes très utilisé et omniprésent, mais il a dans l’ensemble très mauvaise presse. J’avais eu l’idée d’une approche un peu différente et jamais tentée à ma connaissance : une approche artistique. Il s’agissait donc de s’inspirer des arts centenaires ou millénaires autour de nous plutôt que d’asséner les 12 conseils d’une présentation à la Steve Jobs.
De l’idée, tout début 2023, est vite née l’article qu’ESSEC Reflets magazine vient de publier dans le numéro de décembre (n°150) : faites entrer l’art au bureau ! La version texte se trouve ci-dessous et même en format pdf tout en bas. Comme le magazine de l’ESSEC publie 5 numéros par an et que j’avais déjà des articles prévu pour parution, il s’est passé près de neuf mois entre l’écriture de cet article et sa publication.
Neuf mois… juste le temps d’écrire, de revoir, de faire relire et de publier aux éditions Curatus la version longue de l’article : l’Artiste horizontal. Paru par un hasard de calendrier il y a quelques jours à peine. Merci donc à ESSEC Reflets Magazine pour ce beau cadeau de Noël.
Bonnes lectures… et bonnes slides !
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Faites entrer les arts au bureau !
PowerPoint n’a pas le vent en poupe : il est de bon ton de détester le peut-être top célèbre logiciel. Certains souhaitent le bannir, d’autres affirment lui préférer les mémos de quelques pages, d’autres encore installent des wikis internes. Et pourtant… pourtant il reste très utilisé au quotidien dans les grandes organisations. D’ailleurs, cette colère ne serait-elle pas mal placée ? PowerPoint est un outil, au même titre qu’un stylo ou un pinceau. On part d’une page blanche et on en fait ce que l’on veut. L’outil ne peut pas être le problème… Pourquoi donc « PPT » est-il perçu comme un enfer ?
« L’intelligence, c’est la chose la mieux répartie chez les hommes parce que, quoiqu’il en soit pourvu, il a toujours l’impression d’en avoir assez, vu que c’est avec ça qu’il juge. »
René Descartes dans le Discours de la Méthode
Soyons honnête… le problème, c’est surtout les présentations des autres. Quand nous nous sentons pris en otage d’une réunion où on nous lit sans vergogne un document mal organisé, mal écrit et mal raconté. Ce sont ces moments de terrorisme professionnel qui rendent fou. Il fait beau dehors, nous pourrions être ailleurs… et nous sommes là à subir jusqu’au bout une réunion d’une heure qui n’aurait même pas dû exister.
Evidemment, nos présentations sont bien meilleures. Structurées, claires et passionnantes. A moins… à moins que nous ne soyons chacun de nous l’enfer des autres. Se pourrait-il que nous participions involontairement à la misère professionnelle de notre entourage ?
Comment sortir de cette situation ?
C’est pourtant pas compliqué !
Les règles d’un bon diaporama sont simples uniquement en apparence. Nous avons tous déjà lu qu’une bonne slide PowerPoint doit porter sur une seule idée à la fois, compter peu de mots, être écrit gros et frapper l’esprit avec une belle image. Ce ne sont pas de mauvais conseils, surtout si vous préparez une conférence. Cependant, dans l’univers professionnel quotidien, ces suggestions de bon sens se révèlent vite insuffisantes.
D’abord, tout dépend du type de document pour lequel on crée une planche PowerPoint. Un support de conférence, un document de travail interne ou une réponse à appel d’offres suivent des règles diverses. Ensuite, les bonnes pratiques varient selon l’objectif de chaque slide. On pourra par exemple vouloir informer, faire réfléchir, démontrer ou encore poser une série de questions. Chaque intention appelle un format de page adapté. Enfin, nous pourrions complexifier encore la réflexion en y intégrant le concept de type de page. Une page de synthèse, une page de visualisation de données chiffrées ou une page d’organigramme forment autant d’archétypes pour lesquels des règles et bonnes pratiques existent. L’art de créer une bonne slide PowerPoint ne tient pas en sept ou douze secrets d’une présentation à la Steve Jobs. Tant mieux ! Cela le rend intéressant.
Où donc s’inspirer ? Nous sommes peut-être moins isolés que nous ne le pensons dans nos turpides. Nous pouvons bénéficier de siècles d’intelligence cumulée et disponible. Bien des univers professionnels ont réglé depuis longtemps les problèmes qui se posent quand tout commence par une page blanche. Notamment les univers artistiques.
J’aurais voulu être un artiste…
« Pour pouvoir dire pourquoi j’existe »
Fin de la chanson de Michel berger
Chanteur, auteur, acteur. Voici l’ambition en trois mots du businessman de la chanson. Je voudrais vous proposer de viser plus haut. Je voudrais vous proposer de vous faire conteur, metteur en scène ou bédéiste. Je voudrais vous laisser endosser le rôle de publicitaire, photographe et cartographe. Je voudrais vous inviter à vous glisser dans la peau d’un journaliste, d’un avocat ou d’un contrôleur aérien. Pour un instant, je voudrais que vous soyez mathématicien, statisticien ou même commissaire au compte. Et encore architecte, typographe ou magicien. Libre à vous d’ajouter acteur, danseur ou musicien à la liste si… cela vous chante.
Chacun de ces métiers et chacune de ces expertises concentre des décennies, des siècles et parfois même des millénaires d’intelligence à apporter à une question simple seulement en apparence : comment réaliser une bonne communication sur une page horizontale ?
Pour enfin faire ce vous voulez et pas ce que vous pouvez, faites entrer l’art au bureau ! Quels arts et pourquoi ? Voici quelques pistes et idées d’inspiration.
Des métiers et des règles
Affiche publicitaire. L’œil est attiré sur un point. On dirige la lecture du regard jusqu’à une action.
Photographie. Contrastes. Couleurs. Harmonie d’ensemble. Arrière-plan soigné. Encadrement.
Article de presse. Le titre est court et accroche. L’article reprend les éléments du titre.
Dépêche Agence France Presse. L’information est concise, exprimée avec un minimum de mots.
Code juridique. Les termes sont précis. Aucun mot ne pourrait être remplacé par un autre.
Livres pour enfant. Une histoire courte et positive. Des mots simples écrits gros pour être compris.
Théâtre. On annonce les personnages et on respecte la règle du fusil de Tchekov.
Signalisation routière. Visible de loin. Code évident : vert, on passe ; bleu, autorisé ; rouge, interdit.
Cartographie. Légendes de chaque élément et couleur. Point qui indique où on se trouve.
Communication aérienne. Le vol AF42 est Alpha Fox-Trot 42. Les sigles et acronymes sont épelés.
Architecture. Symétrie, canons d’harmonie et équilibre des formes ainsi que des espacements.
Mathématiques. L’équation est visible et lisible. La démonstration se suit du début jusqu’à la fin.
Prestidigitation. Résultat impressionnant, mais il y a un truc. Le truc est connu des initiés.
Recherche universitaire. On cite ses sources pour que d’autres puissent aller plus loin.
Typographie. Choix des caractères, de la chasse, des interlignes et suppression des lignes orphelines.
Bande dessinée. Chaque case mène à la suivante. La case en bas à droite pousse à tourner la page.
Edition. Règles de mise en page. Relecture professionnelle pour les typos et erreurs de grammaire.
Et si vous mettiez les arts au service de vos prochaines présentations ?
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