« C’est toi qui as le singe » ou « il est hors de question que je prenne ce singe » sont des phrases entrées dans le langage courant de certaines organisations. Par exemple au sein de McKinsey où j’ai passé plus de dix ans. A quoi font-elles référence ? A l’excellent article Who’s Got the Monkey? de William Oncken. Il est même l’un des plus réimprimés de la prestigieuse Harvard Business Review.

En faire une synthèse est une gageure inutile : l’article fait huit pages et commence par un résumé. Pourtant, j’ai souvent été limité dans sa diffusion par la langue anglaise. Donc, si vous voulez une courte synthèse en français : c’est ici. Et si vous maîtrisez suffisamment la langue de Shakespeare, lisez l’original !

Un manager jongle avec cinq types de temps : les demandes de son chef, les demandes du système, ce qu’il décide de faire, ce que son équipe lui impose et son temps libre. En supposant que les demandes du boss et du système sont incompressibles, l’auteur suggère de gérer au mieux ce que votre équipe vous impose afin de vous libérer pour ce que vous décidez de faire et votre vie personnelle.

Comment y parvenir? En évitant systématiquement de bloquer votre équipe par la prise de responsabilité de la prochaine action. Il est tentant de dire « Je m’en occupe ! » lorsqu’un problème est évoqué. On pense souvent qu’on y arrivera plus vite et mieux. C’est pourtant une mauvaise habitude : cela frustre votre collègue, augmente votre charge de travail et crée un goulot d’étranglement.

D’autres réactions ont le même impact de manière plus subtile. Proposer d’y réfléchir ou demander un rapport sur le sujet semble vous placer dans le rôle du supérieur hiérarchique. Cependant, l’effet est le même. En imaginant que le problème est un singe placé entre votre subordonné et vous, faire ces demandes a fait sauter le singe sur votre dos : c’est à présent à vous de vous en occuper.

Voici donc l’origine de la métaphore : chaque projet est un singe. Celui qui est responsable de la prochaine action a le singe sur l’épaule. Celui qui en a trop sur le dos croule sous leur poids, a du mal à les nourrir et bloque le reste de l’équipe. Et il est difficile de lâcher un singe ! On s’y attache et beaucoup de managers aiment inconsciemment prendre un maximum des singes de leurs équipes.

Pour avoir moins de singes, il faut les déplacer de son épaule à celle des autres et s’assurer qu’ils y restent. Le manager pourra ensuite vérifier à intervalles réguliers et planifiés d’avance que le singe est en bonne santé. Lors de ces réunions de travail, on pourra discuter de ce qu’il faut en faire. Parfois, le boss pourra accepter de prendre le singe un moment. Mais il faudra le rendre très vite !

William Oncken compte cinq degrés d’initiative : attendre un ordre, demander quoi faire, proposer et agir, agir et informer tout de suite, et enfin agir et tenir informé plus tard. Dans les deux premiers cas, le singe est en fait sur l’épaule du manager. Celui-ci doit donc pousser ses collègues à se positionner dans l’action. D’ailleurs, nous sommes tous plus heureux dans les trois derniers modes d’initiative.

Ensuite, l’auteur énonce cinq règles :

  • Un singe doit être nourri ou tué (sinon il va devenir une source de perte de temps)
  • La population de singe doit être inférieure à la capacité de gestion du manager (sinon, l’équipe sera vite débordée)
  • Les singes doivent être nourris lors de réunions programmées à l’avance (et pas au hasard des rencontres dans les couloirs)
  • Les singes doivent être nourris lors de discussions face à face (et pas par e-mail qui mettent souvent la prochaine action sur l’épaule du manager)
  • Chaque singe doit avoir un horaire pour sa prochaine revue et un degré d’initiative associé (ou alors il finira par mourir de faim ou revenir sur le dos du manager)

Evidemment, il ne suffit pas de refuser en bloc de prendre les signes et de les distribuer autour de soi en organisant un agenda de rendez-vous. Encore faut-il que votre équipe ait l’envie, les compétences et le temps disponible pour s’en occuper ! Libérer son agenda en plaçant les singes au bon endroit permet de s’atteler au véritable rôle de manager : motiver, développer et organiser.

Chacun de ces trois rôles est un défi ; mais c’est une autre histoire !