Marwan Mery propose une alliance rare dans l’art de la détection de mensonge : la science et la pratique. L’auteur est un professionnel de la négociation et a beaucoup travaillé dans le monde des casinos pour les protéger des tricheurs professionnels. C’est aussi un proche de plusieurs chercheurs, académiques et scientifiques spécialistes de la communication et du mensonge.
Dans cet ouvrage, l’auteur nous rappelle que le mensonge est omniprésent et utile à l’équilibre social. Le mensonge peut être par altération, par suppression ou par émission et avoir bien des objectifs : la bienveillance, le confort, se valoriser, obtenir un avantage, éviter des conséquences désagréables, voire…. Pour le plaisir !
Et il rappelle que nous sommes en moyenne de bons menteurs et de piètres détecteurs de mensonge même si nous pensons dans l’ensemble être doués pour faire la part du vrai et du faux. C’est somme toute très logique : si nous étions en moyenne de mauvais menteurs et de bons détecteurs, notre équilibre social ne tiendrait plus de la même manière…
D’ailleurs, notre perception du sujet est si biaisée que nous véhiculons des idées reçues fausses qu’il est donc intelligent de respecter. Par exemple, nous avons tendance à faire confiance aux personnes bien habillées qui nous regardent dans les yeux. Aucun de ces deux critères n’est fiable pour détecter le mensonge. Pour autant, si l’objectif est de berner un non professionnel, voici deux habitudes à adopter.
L’auteur liste d’autres idées reçues du même acabit dans l’ouvrage : les menteurs détournent le regard, se grattent le nez, ne tiennent pas en place, transpirent ou encore croisent les bras… Tout cela traduit l’anxiété, mais est très loin d’être un indicateur fiable de mensonge !
Alors, qui est doué à détecter le mensonge et pourquoi ? La première partie de la réponse est : « les professionnels entraînés » ; la seconde partie est : « parce qu’ils cherchent à repérer les indices d’incohérences comportementales ». En effet, aucune méthode n’est fiable à coup sûre et beaucoup des indices du mensonge sont en fait des indicateurs de stress.
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Le principe de congruence
Pour autant, on peut commencer à avoir de sérieux doute quant à la véracité d’un propos lorsque l’on observe plusieurs éléments d’incohérence. Notamment :
- Les signaux verbaux : les mots employés, les ponts, les lapsus, les ellipses, le langage distanciés, un certain nombre de phrases types fréquemment employés par ceux qui mentent. Rien n’est 100% fiable, mais certains indices sont révélateurs.
- Les signaux paraverbaux : le délai avant de répondre, le rythme, le ton de la voix, les pauses, les silences… Bien des éléments peuvent trahir le menteur, surtout s’ils diffèrent de son comportement habituel (encore faut-il le connaître…)
- Le corps : les pieds surtout (nous avons moins l’habitude de le contrôler), le torse, les mains, les micro-expressions faciales… Nous avons l’habitude de contrôler certains aspects car nous avons appris à mentir ; mais pas tous les aspects !
- Le manque de coordination entre le fond et la forme : c’est l’asynchronisme entre le message passé et l’ensemble des signaux verbaux, paraverbaux et corporels qui collectivement permettent d’identifier la probabilité du mensonge.
C’est donc l’impression que « quelque chose ne va pas » qui permet de déceler le mensonge : la personne ne se comporte pas comme à son habitude, la personne ne se comporte pas comme une personne normale le devrait (nous sommes tous différents, mais il y a tout de même certaines normes) ou la personne ne se comporte pas comme le contexte le suggérerait. Evidemment, on imagine facilement les erreurs d’interprétation qui sont possibles. L’auteur donne d’ailleurs moult exemples dans le livre. Lisez-le avant de tirer des conclusions hâtives !
Comment détecter un menteur
« Faites appel à un professionnel ! » est peut-être en filigrane le principal message de l’auteur, même s’il ne l’écrit jamais. En effet, détecter le mensonge suppose de se débarrasser de ses idées reçues et d’observer des détails avec une grille d’analyse fine et précise. C’est en fait très difficile à réaliser sans entraînement. La grille « Etablir l’idiosyncrasie d’un individu » proposée dans l’ouvrage est parlante à ce sujet. Aucun élément n’est individuellement compliqué, mais ils sont collectivement difficiles à maîtriser ; surtout que vous n’aurez pas forcément le loisir d’avoir la grille devant vous.
Cela dit, Marwan vous suggère de commencer la conversation avec des questions anodines pour observer votre menteur dans son état normal. Cela aide à identifier les écarts. Il vous suggère également d’être plusieurs pendant la discussion pour qu’une personne puisse se focaliser uniquement sur les détails de comportement. Et évidemment, avoir à l’esprit les comportements les plus fréquents qui trahissent l’inconfort. La liste est longue !
Pour les signaux verbaux et paraverbaux : demander à répéter la question, passer rapidement sur le sujet, répéter la même version des faits à l’identique à plusieurs heures d’intervalles, répondre à côté de la question, se distancier du sujet, l’autodérision, la mémoire sélective, le lapsus, les détails inutiles, le temps de réponse trop long, le rythme qui ralentit ou les pauses… et bien d’autres ! Au fond, ceux qui disent la vérité répondent aux questions de manière plus directe et rapide parce qu’ils ont moins besoin de se justifier et de prendre du temps pour construire un récit.
Pour les signaux corporels, c’est à la fois plus facile et bien plus difficile. Les positions des pieds, des jambes et du torse sont plutôt faciles à lire car elles correspondent à des comportements animaux que nous avons peu l’habitude de contrôler. Les positions des bras et du visages sont plus difficiles. Nous avons appris à les contrôler ! Les micro-variations du visage, elles, sont très parlantes. Encore faut-il savoir les identifier ! Elles sont fugitives et demandent un œil entraîné. L’auteur propose d’ailleurs une série d’entraînements à faire en ligne sur http://www.paulekman.com. Que diriez-vous d’une formation de pointe gratuite ?
Bref, attention aux idées reçues, attention aux conclusions hâtives fondées sur des analyses sans fondement et faîtes-vous aider par des professionnels si les enjeux en valent la peine !
PS : l’ouvrage se termine sur une réflexion rare et intéressante sur l’art de poser des questions. Elles sont surtout utiles dans le cadre d’un interrogatoire du type d’un interrogatoire de police. C’est rare dans le monde professionnel. Mais qui sait ?
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